
Roman de Bernard Clavel.
Le Gabbiano, dirigé par le commandant Bernier, charge une cargaison de fûts débordant de produits à retraiter. Les dockers de Puerto Cabello sont soulagés de voir s’éloigner la puanteur et la pollution qui enveloppent le port et la ville depuis des jours, mais pour l’équipage, un périple infernal commence. « C’est la mort en personne qu’on a embarquée. » (p. 12) Les fûts éclatent et répandent leur poison corrosif dans la cale et dans l’air. Les marins souffrent de brûlures aux yeux et aux mains et certains auraient besoin de soins médicaux de toute urgence. Mais voilà, aucun port n’accorde au Gabbiano l’autorisation d’accoster. Bernier comprend très vite que l’armateur italien du bateau est un pourri de la pire espèce, insensible au désastre humain et au risque écologique qui guettent. « Je suis en rogne contre les salauds qui nous ont foutus dans ce pétrin. Et puis je suis en rogne contre moi qui ai été assez con pour marcher. Et faut bien dire que c’est rien d’autre que le pognon qui pourrit tout. Et c’est le pognon qui nous a poussés à signer avec eux. » (p. 28) Face aux magouilles des autorités portuaires et commerciales, Bernier résiste : le capitaine est un homme d’honneur qui aime trop la mer pour la souiller en se débarrassant de sa cargaison viciée. La situation ne va qu’en empirant : à bord, tout vient à manquer, sauf les miasmes suintant de la cale. « L’odeur monte. Elle coule comme une eau invisible. Elle s’infiltre partout. Elle ne rappelle rien de connu. » (p. 55) De l’Atlantique à la Mer du Nord en passant par la Méditerranée, Le Gabbiano erre, tel un vaisseau maudit, bientôt fantôme, dont tout le monde voudrait oublier l’existence.
Bernard Clavel était un merveilleux conteur et un brillant portraitiste. Les membres de son équipage sont très attachants et leurs défauts les rendent irrémédiablement humains. L’auteur écrit avec des mots précieux la tendresse timide qui se noue entre les hommes forts. Évidemment, ce que je retiens de ce roman écrit en 1996, c’est l’alerte écologique, déjà si hurlante et tellement ignorée. « La planète découvre soudain qu’elle est une planète menacée par ses propres déjections. Elle sécrète des montagnes énormes d’ordures qui menacent son équilibre et sa santé. Les liquides et les gaz qui s’en dégagent mettent en péril la vie de sa flore et de sa faune. L’humanité se trouve soudain face à ce qu’elle rejette. Des montagnes de détritus dont personne ne veut plus. » (p. 90) Vingt ans plus tard, la situation a empiré et explosé tous les niveaux critiques. Pourtant, face à l’évidence et alors que la catastrophe a commencé, il reste des êtres humains qui ne pensent qu’en termes de rendement et bénéfices. « C’est vrai que le monde est plein d’ordures, mais je commence à penser que le bosco a raison quand il prétend que les plus puantes sont les hommes ! » (p. 73)
Je vous laisse avec une dernière phrase, banale au premier abord, et pourtant éminemment pertinente. « Tout ça pour vous dire qu’avant le plastique, le monde pouvait vivre sans poubelles. » (p. 18)
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