Tournons-nous vers le Portugal et vers le quinzième siècle. Suivons le narrateur, Adar. Avec son frère Faustino, ce gamin court les rues pour trouver à manger. Attrapés par un inquiétant curé et enfermés dans une crypte, les jeunes chapardeurs affamés croient leur dernière heure venue. « C’est après ce qui précède qu’arriva ce qui suit. » (p. 73) Adar engloutit un codex et le voilà désormais incapable de résister aux ouvrages faits en vélin. Sa voracité entraîne une transformation surprenante, tant physique que spirituelle. « À défaut de le lire je le mangeais, et […] il m’enchanta si bien que je suis devenu le livre et que le livre est devenu moi, et que je m’avalerai après m’être écrit car je dois me manger moi-même pour être complet. » (p. 95) Le monstre passe en procès devant un tribunal ecclésiastique, mais ce n’est pas là que s’arrête le destin fabuleux d’un livre maudit ni celui du gamin qui l’a dévoré.
Rabelaisien, grotesque et merveilleux, ce roman s’aligne sans peine sur les plus grands classiques du réalisme magique, mais flirte aussi avec l’absurde inquiétant de Kafka. Par bien des aspects, le roman met l’eau à la bouche. Parmi les grands lecteurs, nombreux sont ceux qui s’autoproclament bibliophages, mais le personnage de Stéphane Malandrin est hors compétition. « Je suis mangeur de livres ; je les consomme comme du bon pain, j’en fais des tartines et des mouillettes, j’en fais des rondelles de saucisse, des tripailles, des pâtés, je suis passé maître dans l’art d’accommoder les livres. » (p. 7 & 8) Pour son premier roman pour adultes, Stéphane Malandrin fait fort : son style est précis, efficace et marquant. Ai-je dévoré ce livre ? Oh oui ! Et je parie que vous ferez de même !