2062, la France trépigne d’impatience à l’ouverture du procès qui va revenir sur le Grand Blanc. Que s’est-il passé entre 2017 et 2020 ? Pourquoi le pays a-t-il voté l’amnésie générale à 98 % ? « Je suis sûre d’avoir voté oui. Voulu quoi, pour éviter quoi ? C’était il y a plus de quarante ans. Et je ne sais toujours pas ce que j’ai eu, à ce point, intérêt à oublier. » (p. 101)
Sur le banc des accusés, une seule personne, la Sibylle. Vieille de plusieurs milliers d’années, née du temps de la Grèce antique, toujours aussi belle, elle raconte comment les déesses oubliées de l’Olympe ont décidé de reprendre les choses en main, de contrer la fin du monde annoncée pour décembre 2012, de renverser les pouvoirs phallocrates et d’instaurer un monde puissamment féminin. Pour ça, elles ont fondé le Parti du Cercle et fait élire Élisabeth Ambrose présidente de la République française. « Une secte d’intérêt public, qui prônait la sororité, l’autonomie orgasmique et les enseignements du Nouveau Commencement. Une cellule d’activistes pagano-féministes, qui pratiquaient la magie à des fins politiques. » (p. 10) La Sibylle a tout vu, bien avant tout le monde. Normal, c’est son métier. Mais personne n’a écouté ses avertissements. Normal, c’est toujours le cas. Le grand projet des déesses a échoué, on s’en doute, mais la Sibylle est là pour que personne n’oublie. « Au commencement était le Verbe et puis le Trademark a surgi. Je suis la gardienne de l’histoire, ma parole est copyrightée. » (p. 45) Évidemment, tout dépendra du verdict.
Ce que propose Chloé Delaume, c’est un roman féministe, presque un manifeste, sous forme de compte rendu d’audience. Mais attention, nous sommes face à un procès-spectacle : le Tribunal du Grand Paris a investi le Stade de France. Les gradins sont pleins à craquer ! La France de 2062 est une dictature du divertissement et de la consommation : chacun a l’obligation de participer, de s’exprimer, de soutenir le pouvoir en place. L’humour est féroce et jubilatoire, hautement décomplexé et misandre par touches bien dosées. Les échanges de mail entre Artémis et Jésus-Christ ont fait mes délices. Et si vous aussi, vous avez un peu moqué François Hollande qui subissait sans cesse des intempéries lors de ses sorties officielles, avez-vous pensé à une malédiction ? « Un coup des Sorcières de Salers, une association de socialistes auvergnates pratiquant le zoroastrisme et le culte de Ségolène Royal. » (p. 200)
À ranger très près du Pouvoir de Naomi Alderman, mais pas trop loin non plus de La république des femmes de Gioconda Belli, Les sorcières de la république brosse un portrait acide d’une société en perdition, empêtrée dans la crise des religions et le culte de la personnalité présidentielle. En rendant la magie accessible à toutes les femmes, Chloé Delaume fantasme un pays où les urnes ont moins de pouvoir que les chaudrons. « Changer un membre du PS en un objet utile, un traître écologiste en porte-parapluie, un ancien Président en un petit poney bai, ou Jean-François Copé en pain au chocolat, reconnaissez que c’était de bonne guerre. » (p. 324)