Dans une longue lettre, Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, répond aux questions de Mademoiselle Esperluette. Le livre, la lecture et l’écriture sont au cœur de ses réflexions. « C’est pourquoi il me paraît urgent de vous rappeler que livre et lecture sont en quelque sorte les amants rivaux d’une belle capricieuse qui se nomme écriture. » (p. 31) Il commence par s’interroger sur ce qui fait la valeur d’un livre, à savoir prophétiser sur sa gloire éternelle ou jouir du bonheur immédiat qu’il procure. Hubert Nyssen n’a pas peur de la crise du livre, il la trouve même salutaire en ce qu’elle secoue l’objet, sa pratique et ses pratiquants, les empêchant de se scléroser. « Une chose est de se demander où va le livre, une autre où va la lecture. » (p. 21) En fait, Hubert Nyssen n’a peur de rien, même pas du grand méchant ebook. Au détour d’une démonstration, il rappelle à sa jeune interlocutrice que la crise du livre n’est qu’une mise en abyme de la crise qui secoue la société. Il clôt son propos en faisant l’éloge du livre au travers des lecteurs, le premier ne pouvant vivre sans les seconds, l’inverse étant probablement tout aussi vrai.
Dès les premières lignes, cette correspondance unilatérale m’a rappelée les relations épistolières des Lumières, comme celle qui unissait Diderot et Sophie Volland. L’homme, souvent plus âgé, abordait moult sujets avec sa jeune amie qui, de disciple, devenait égale dans le débat d’idées. Hélas, rien de tel ici. Le ton de l’auteur reste dogmatique, professoral et pontifiant quand il ne verse pas dans le paternaliste douteux, le tout dissimulé sous une bonhommie de mauvais aloi. Mademoiselle Esperluette n’est finalement qu’une jeune lectrice naïve, une oie blanche qu’il faut rassurer et parfois flatter. Piètre image de la femme lectrice… Hubert Nyssen est un homme qui sait ses lettres et qui ne se gêne pas pour l’étaler. La pirouette finale est tellement prévisible qu’elle est en presque risible, mais elle rattrape un peu le tout : on peut tout pardonner à un homme qui parle à un fantasme.
Une esperluette, c’est un signe topographique qui fait office de conjonction de coordination. Et la lettre d’Hubert Nyssen remplit cet office. Même si la forme m’a souverainement agacée, le fond est plein de bon sens. Il s’agit de montrer au lecteur qu’il n’est pas seul, même si l’acte de lecture silencieuse est éminemment solitaire. Hubert Nyssen fait de l’acte de lire un véritablement engagement. « De toute manière, le temps, et en particulier, le temps de lire, dites-vous bien qu’on ne le trouve pas, on ne le trouve jamais qui, tout à coup disponible, vous attendrait. Le temps, ça se prend ou ça se perd ! Si vous voulez en disposer, vous ne pouvez que l’attraper, le choper, le ravir. C’est un choix à faire dans les priorités que vous vous donnez. » (p. 98 & 99)
Je termine ce billet en demi-teinte par deux citations que je vous laisse méditer.
« Car il ne suffit pas de savoir lire pour pouvoir lire. » (p. 64)
« Bien lire n’est pas trop lire, c’est encore moins lire par force. » (p. 82)