
Texte de Samy Manga.
Les premiers souvenirs d’Abéna, jeune Camerounais, sont liés au travail avec son grand-père dans la plantation de cacao familiale. Cet or vert que les hommes s’épuisent à produire, hélas, ne les enrichit pas. Le business est aux mains des acheteurs blancs qui bénéficient de la complicité monnayée des chefs de village. « Je me sentais dépossédé, volé, outré et découragé de voir partir le résultat brut d’un dur labeur en échange de quelques billets de francs CFA qui allaient se raréfier en à peine quelques semaines. » (p. 16) Ceux qui protestent et qui réclament un salaire décent pour le travail fourni n’ont aucune chance d’être entendus. Pire, ils pourraient tout perdre ! Face à ce qu’il faut considérer comme un cartel du chocolat, les paysans n’ont aucun levier de négociation. « Manifester une quelconque hostilité envers ces hommes blancs laissait clairement entendre qu’on s’attaquait à l’autorité du chef du village en personne, et ce risque s’apparentait clairement à creuser sa propre tombe. » (p. 33)
La culture du cacao en Afrique, c’est le reliquat d’une domination coloniale et esclavagiste qui ne dit pas son nom. « Nous ne pouvons pas vivre de notre cacao sans le vendre. / Pourquoi ? / On ne nous a jamais appris à le faire. » (p. 18) À mesure des chapitres, le récit du gamin broussard devenu docteur en littérature devient une démonstration irréfutable qui, chiffres à l’appui, détaille une économie inepte où les producteurs vivent moins bien – largement moins bien ! – que les spéculateurs. Le texte se fait aussi manifeste écologique. « L’empreinte carbone d’un kilogramme de chocolat tourne autour de cinq kilogrammes d’équivalent CO2. » (p. 96) Les sols sont corrodés par les produits chimiques qui brûlent aussi les peaux, et les forêts primaires reculent devant le besoin de terres à planter pour produire les cosses si précieuses. La monoculture appauvrit le sol et la biodiversité, en plus des paysans, les privant en outre de toute possibilité d’agriculture vivrière. « La prospérité économique de la culture du cacao dépend foncièrement de la destruction de la nature. » (p. 67) Enfin, après la plaidoirie et le réquisitoire, le texte se fait poème incantatoire. Il y a de l’espoir, encore un peu, mais surtout une colère qui finira peut-être par renverser l’ordre inique de l’or vert.
Sur la couverture, la cosse de chocolat dessine un rictus bien éloigné du sourire béat des publicités Banania. Derrière le mirage du chocolat éthique, il y a les grands raouts internationaux où la matière première se négocie à prix d’or et se pare de décorations clinquantes dont l’éclat ne suffit pas à faire oublier l’hypocrisie des projets de green-washing. « De toutes les manières possible, l’argent du chocolat a violé la plupart des conventions censées réguler la culture du cacao. » (p. 64) Ce livre n’a pas pour vocation de culpabiliser le·a lecteur·ice, mais il nous rappelle que notre péché mignon est leur grande misère.
Je vais beaucoup prêter et recommander ce livre qui a sa place dans mes ressources écologiques.
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