Quatrième de couverture : L’Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, «délégué» de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, le peuple unanime vit dans le bonheur de la foi sans questions.
Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l’existence d’un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la religion…
L’hommage à 1984 est évident. Cette dystopie inquiétante sur fond de religion omnipotente et d’histoire réécrite jusqu’à l’invention m’a-t-elle convaincue comme l’avait fait le roman d’Orwell ? C’est moins évident… Premier reproche sur la forme : ce texte est une très longue narration avec des lignes de dialogue si éparses qu’elles ressemblent à des murmures, à des voix que l’on entend dans le vent sans comprendre les paroles. Ce récit interminable est très didactique et descriptif, ce qui m’a fortement empêchée d’éprouver une vraie sympathie pour les protagonistes.
« La religion fait peut-être aimer Dieu, mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité. » Voilà pour l’avertissement liminaire. Ça commençait déjà mal. La généralisation est le premier pas vers l’annihilation de la réflexion. OK, vous me direz que l’actualité tend à donner raison à cette sentence introductive. En effet, la religion est empoignée, malmenée et brandie au nom d’idéaux inhumains et assassins. « Personne, pas un digne croyant, ne s’est laissé aller à penser que ces périlleux pèlerinages étaient une façon efficace d’éloigner les foules pléthoriques des villes et de leur offrir une belle mort sur la route de l’accomplissement. De même, nul n’a jamais pensé que la guerre sainte poursuivait le même but : transformer d’inutiles et misérables croyants en glorieux et profitables martyrs. » (p. 25) Mais la religion en tant que telle n’est pas responsable : ce sont les hommes qui dévoient des idées et des principes. Certes, le propos de Boualem Sansal est de montrer ce qu’il advient quand la réflexion disparaît et laisse le champ libre à la superstition qui est une croyance nourrie de peur. On peut très bien croire sans craindre : ici, l’auteur montre les dérives d’une foi qui n’incite pas les hommes à l’épanouissement et au bonheur, mais à la soumission et à la terreur. « La perturbante découverte que la religion peut se bâtir sur le contraire de la vérité et devenir de ce fait la gardienne acharnée du mensonge originel. » (p. 74)
2084 est la date fondatrice, la limite au-delà de laquelle l’Appareil ne permet pas de remonter. Cette année zéro est le point de départ d’une Histoire contrôlée, réécrite, sans cesse corrigée et amendée. Or, il est bien impossible de se situer dans le monde et dans le temps quand les repères changent toujours. La faute d’Ati est justement de vouloir comprendre son univers, de ne pas se contenter du discours officiel. « Ce que son esprit rejetait n’était pas tant la religion que l’écrasement de l’homme par la religion. » (p. 80) On s’en doute, cette révolte ne finira pas bien.
2084 est un roman d’anticipation et de réflexion intéressant, mais dont la forme est pesante. Sur le fond, il y a bien des choses à explorer, mais je reproche un manque de subtilité dans certaines idées.