The Fisherman

Roman de John Langan.

Abe et Dan, collègues de travail, unis dans la douleur partagée du veuvage, passent leurs week-ends à pêcher. Un jour, poussés par Dan, ils se rendent à Dutman’s Creek, au nord de l’état de New York. Les lieux font l’objet d’une légende noire qui se transmet depuis plus d’un siècle, autour du réservoir créé par la construction d’un barrage qui a noyé une vallée et onze villes. Bien des indices devraient dissuader les deux amis de se livrer à cette partie de pêche, mais parfois, le destin est tellement sombre que rien ne peut le sauver.

Abe s’adresse à un·e hypothétique lecteur·ice et lui raconte la terrible histoire qu’il a vécue, 10 ans plus tôt. « Certaines choses sont si mauvaises que le simple fait de vous en être approché vous salit, laisse une souillure dans votre âme, comme une parcelle de forêt où rien ne pousse. Pensez-vous qu’une simple histoire puisse porter un tel mal en elle ? » (p. 11) Le récit d’Abe contient celui d’Howard qui contient celui du révérend Mapple qui contient celui de Lottie Schmidt qui en contient plusieurs autres. Ces histoires enchâssées créent un effet dilatoire : à mesure que l’on remonte le temps avec les témoignages, on s’éloigne de ce qui est arrivé à Abe et Dan, mais on comprend ce qui les attend s’ils s’entêtent à aller pêcher dans la rivière du Hollandais… « Parlons-en, de ces détails. Si, comme le veut le proverbe, le diable s’y cache, alors la moitié de l’enfer se presse entre les lignes de ce récit ? » (p. 243) Il y a quelque chose de Stephen King dans le rythme de la narration et le style, et évidemment dans l’occultisme et le surnaturel qui baignent le roman. La première phase renvoie immédiatement à Moby Dick et convoque un imaginaire fait de pêches épiques et de poursuites d’une bête fabuleuse. Aucune de mes attentes n’a été déçue pendant cette lecture qui m’a emballée et emportée pendant quelques heures, bien protégée sous un plaid.

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À gauche du oui, à droite du non

Pièce de théâtre de Bernadette Gruson.

Assia, Nour, Yanis, Enzo, Lenny, Nejma, Eva. Ces adolescent·es découvrent, chacun·es à leur rythme, ce qu’est le consentement. Et ce qu’il n’est pas. Ce qui fait qu’il n’existe pas et ce que cela laisse de douleur. « Je comprends les victimes qui veulent disparaître. » (p. 77) De baiser arraché en fellation résignée, les salles de classe et la cour de récréation sont des lieux d’apprentissage à la dure. Ce sont aussi des espaces de désapprentissage parce qu’il ne faut pas croire le porno, il ne faut pas croire les rumeurs, il ne faut pas croire les injonctions sociales hétéronormées et virilistes. Oui, le désir, ça se cultive et ça se cueille. Non, le sexe, ce n’est pas prendre quelque chose à l’autre. Clément, Romain et Judith, professeur·es, guident avec plus ou moins de délicatesse ces jeunes dans leurs découvertes et leurs réflexions. Elleux-mêmes sont confronté·es à cette question : comment on obtient qu’un « non » soit respecté ?

La pièce qui se joue sous nos yeux se joue aussi sous les yeux des personnages. Il n’y a pas que le quatrième mur qui est abattu : tout explose, les coulisses, cour et jardin ; tout se mélange. Là où les adultes échouent, les jeunes essaient et s’améliorent. La sororité et la solidarité prennent le dessus quand l’écoute est sincère et dépasse les clichés. « Je ne dis pas que tu mens, je dis que ton attitude rend la situation compliquée. Écoute, Nejma, on récolte ce que l’on sème. Alors à toi de réfléchir à ta récolte, plutôt que d’accuser les autres. » (p. 62)

Bernadette Gruson explore avec finesse et lucidité les mécaniques à l’œuvre dans les schémas de domination et de violence sexuelle. En plaçant sa pièce dans un collège, elle rappelle l’importance – voire la nécessité – de discuter des questions sexuelles et du consentement dans le cadre scolaire. En outre, personne n’est jamais trop jeune pour comprendre que son corps n’est qu’à lui. J’ai la chance de compter l’autrice parmi mes ami·es : son travail de création artistique est d’autant plus sincère qu’il est nourri par ses engagements quotidiens. Si vous vivez dans les Hauts-de-France, ne manquez pas les représentations de la compagnie Zaoum, dirigée par Bernadette Gruson.

De cette autrice-artiste-comédienne, lisez aussi FESSES et To tube or not to tube.

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Demoiselle Lapine et le grand méchant Léopard – 1

Webtoon de Sadam, Mogin et Yasik

Quatrième de couverture – Vivi est une petite lapine qui vit dans un monde où les animaux se transforment en humains lorsqu’ils atteignent l’âge adulte. On les appelle les « humains-garous ». Cependant, pour une raison inconnue, Vivi ne parvient pas à se transformer. Devenue la honte de la prestigieuse famille dont elle est issue, elle se fait abandonner au milieu d’une forêt sur le territoire des cruels léopards. Quel sort le destin réservera-t-il à Vivi la lapine ?

Vivi est recueillie par Ahyn, évidemment beau à tomber par terre, et membre du clan des léopards noirs. Est-ce pour servir de casse-croûte ou devenir un animal de compagnie ? « Elle est très intelligente, pour une lapine. Elle nous comprend. Beaucoup de faits restent inexpliqués si c’est une humaine-garou ? » (p. 76) Puisque Vivi est un animal, elle ne parle pas, mais elle comprend ce que disent les humains. « Si tu tiens à la vie, ne sois pas si docile avec lui. » (p. 98) Mignonne et terrifiée, mais déterminée à ne pas être mangée par son séduisant geôlier, elle veut percer le sens de la malédiction de la Divinité-Animale qui semble peser sur elle, notamment le mystérieux pouvoir des phéromones. Tout en cherchant le moyen de se transformer enfin, elle assiste à la montée des tensions entre le clan des léopards noirs et le clan des loups.

Ai-je été attirée vers cette lecture en raison de son titre et de son personnage principal ? Évidemment ! Je ne résiste jamais à suivre un petit lapin blanc. Vivi est souvent dessinée de manière très kawaï, ronde, dodue et adorable. C’est un petit personnage tout à fait attachant, contrairement à Ahyn qui est un archétype de pervers manipulateur, possessif et cruel.  « Supplie-moi si tu tiens à la vie. » (p. 181) Clairement, je ne suis pas sensible à ce trope des webtoons coréens (si j’en crois ma sœur, bien plus calée que moi), à savoir la domination malsaine entre amant et amante. J’ai cependant continué ma lecture et je lirai les autres tomes, car la voix intérieure de Vivi est très drôle. « Hé… tu vas continuer à m’attraper par la peau du cou encore longtemps ? Alors je n’ai pas de droits humains ? Et mes droits de lapin, hein ? » (p. 204) Elle a une bouille impayable quand elle est furieuse, du haut de ses 15 centimètres, mais elle est aussi très touchante quand elle laisse sourdre son désespoir de ne pas réussir à se transformer.

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Potins #100

Lucien Suel est un poète, écrivain et dessinateur français né en 1948.

POTIN – Entre autres publications et travaux littéraires, il écrit des poèmes en picard.

Lisez : Le lapin mystique, Mort d’un jardinier, Rivière et D’azur et d’acier.

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Les confessions de Mr Harrison

Roman d’Elizabeth Gaskell.

Will Harrison, jeune médecin venant de Londres, s’installe à Duncombe, petite ville de province, pour reprendre le cabinet du docteur Morgan. Tutoré par ce dernier, il découvre sa patientèle et se fait connaître de la petite société mondaine. « C’était quand même un soulagement de côtoyer un homme de temps à autre, après toute la société féminine au milieu de laquelle je me débattais à longueur de journée. » (p. 81) Cette société, en effet, se compose essentiellement de femmes, et nombre d’entre elles sont intéressées par ce parti prometteur. Mais Harrison n’a d’yeux que pour l’innocente Sophie, la fille du pasteur. Entre ragots, quiproquos, rumeurs et malentendus, le jeune docteur navigue dans un environnement délicat où le mariage est un sujet des plus sérieux.

Ce feuilleton de province est charmant, parfois comique, mais également agaçant. « Voilà le charme des petits bourgs ; tout le monde y compatit aux mêmes événements. » (p. 92) S’il est délicieux de lire les descriptions que l’autrice fait des esprits étroits et des caractères mesquins, il devient vite lassant d’entendre Harrison pérorer sur la pureté de son amour et de ses intentions. Le protagoniste est placidement content de lui-même et sa dulcinée est un faire-valoir des plus ternes. Ce n’est pas le texte d’Elizabeth Gaskell que je préfère, mais il m’a offert une agréable heure de lecture.

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Give It To Me !

Ouvrage de La Rata, traduit par Virginie Despentes.

Ma Rainey, The Slits, Janis Joplin, Grace Jones, Spice Girls, Big Mama Thornton, Nina Hagen, Donna Summer, Bessie Smith, Billie Holiday, Etta James, Madonna, Debbie Harry, The Supremes, Nicki Minaj, Nina Simone, Siouxsie Sioux, Britney Spears, The Ronettes, Aretha Franklin, Tina Turner, Marianne Faithful, Courtney Love, Beyoncé, Lil’Kim, Lana Del Rey, etc.

Des noms de légendes. Et des femmes spoliées par l’industrie musicale qui est aux mains de – devinez qui – des hommes blancs et hétérosexuels, souvent misogynes et racistes bon teint. « Si elles refusent de se conformer strictement à ce que l’on attend d’elles – être des belles femmes qui chantent de belles chansons et qui sont aimables et dociles en public –, si elles sont trop politiques, trop insoumises, trop complexes, elles seront déclarées folles, irresponsables et éliminées. Billie Holiday, Nina Simone, Whitney Houston, Amy Whinehouse ou Britney Spears. Ce qui est tragique n’est pas qu’elles se brisent au sommet de leur carrière, mais que le système patriarcal et colonial ait compris aussi tôt comment limiter leur puissance. » (p. 41) Blues, rock, soul, pop, disco, punk, funk, rap : tous les courants musicaux depuis le début du 20e siècle ont leurs stars masculines. Plus rares, parce que souvent empêchées, les femmes sont pourtant des icônes incontournables. Dans ma liste liminaire, combien de noms ne connaissez-vous pas ?

L’autrice est tatoueuse : ça se ressent dans le dessin qui est épidermique, incarné, vivant. L’ouvrage est un assemblage explosif de photographies, de collages, de bande dessinée, de graffiti, avec quelque chose du comics et du fanzine. « La musique populaire peut franchir les frontières linguistiques, temporelles, politiques, raciales, sociales et sexuelles. » (p. 11) On sent toute l’exaspération de La Rata face aux injustices qu’elle décrit, son enthousiasme d’admiratrice aussi et ses convictions. « La fureur, la rage et le courage, c’est ce qu’on ne pourra jamais te pardonner. » (p. 212) Les valeurs que porte l’autrice, ce sont l’intersectionnalité, l’anticolonialisme, la lutte contre l’hétéronormativité et le patriarcat, la liberté d’être soi sans se conformer aux attentes et aux modèles. « Cette histoire à laquelle je m’intéresse tant est indissociable de l’esclavagisme. Jamais je n’avais été à ce point consciente de ma blancheur. J’ai essayé de le rester, depuis. […] Je suis une fille cis blanche européenne qui parle de femmes noires, latines et gitanes. Sans leurs œuvres, des référentes féministes auxquelles j’aurais eu accès auraient été exclusivement académiques et universitaires, issus des féministes blanches. » (p. 10)

Impossible de ne pas fredonner à chaque page : il y a des tubes et des rengaines inoubliables ! Qui n’a jamais pris son peigne ou sa brosse à dents pour en faire un micro devant son miroir ? Pas moi, et pas plus tard qu’hier… La Rata ne tire aucune artiste de l’oubli, mais son ouvrage est indispensable : il montre comment ces femmes ont fondé des références musicales et inspiré, voire libéré, d’autres femmes, parfois des générations plus tard. D’aucuns considèrent que le mot « sororité » est galvaudé : pas moi. Je lui trouve une immense force fédératrice. L’ouvrage de La Rata, c’est une sororité musicale au travers des genres et des époques. Il m’a rappelé l’essai de Linda Nochlin, Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ?

Bref, si vous aimez la musique, si vous aimez les concerts, lisez le livre de La Rata !

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L’homme qui n’aimait plus les chats

Premier roman d’Isapelle Aupy.

« Imagine une île avec des chats. Des domestiqués, des pantouflards et des errants, qui se baladent un peu chez l’un, un peu chez l’autre, pas faciles à apprivoiser, mais qui aiment bien se laisser caresser de temps en temps. Et puis aussi, des qui viennent toujours quand on les appelle, des qui s’échappent la nuit pour funambuler sur les toits, d’autres qui rentrent au contraire pour se blottir contre soi. » (p. 13) Mais voilà, les chats de l’île disparaissent, et ceux que l’administration du continent apporte sont loin de faire l’unanimité parmi les insulaires. Du moins au début, parce qu’il paraît qu’on s’habitue à tout, si on nous le répète assez souvent. Certain·es habitant·es refusent pourtant de se soumettre et iels continuent à appeler un chat… un chat ! « Les chats pour nous, c’était comme la liberté, c’est quand on la perd qu’on se rend compte qu’elle manque. » (p. 25)

Je n’en dis pas davantage et je vous invite à découvrir ce conte parfaitement réussi qui dénonce la tyrannie, et l’annexion des esprits par le langage et les contre-vérités manipulatrices. « Ils nous les prenaient parce qu’on les avait laissés faire. Ils nous les prenaient parce qu’ils avaient mis des mots sur des besoins qui n’étaient pas les nôtres. Et comme des bulots, on est même allés les remercier. » (p. 95) L’île est le refuge des marginaux·ales, des perdu·es, des originaux·les et des gens libres dans leur cœur. Face à l’uniformisation forcée, ces êtres qui se sont choisis comme voisins doivent réapprendre à vivre ensemble. « L’île sans les chats, c’était aussi bizarre que la commère qui ne trouve plus rien à dire ou la mer sans écume. Oui, comme ça plutôt, parce que la commère, je l’ai déjà vue avec une angine, mais la mer sans écume au sommet des vagues, ce n’est pas naturel. » (p. 17)

Je lis les textes d’Isabelle Aupy à rebours des dates de publication. Après Les échassiers et Le panseur de mots, me voilà donc à sa première œuvre publiée. J’avais vraiment apprécié les deux autres textes, mais celui m’a enchantée au-delà de toute mesure ! L’autrice a un sens de la formule qui fait mouche, tant pour parler du sublime que pour se moquer du quotidien. La preuve avec ces deux phrases.

« Je n’ai pas oublié ce que c’est quand le prénom de l’autre devient un sentiment. » (p. 31)

« Les colimaçons, c’est bon pour les bigorneaux, quelle idée d’en faire un escalier. » (p. 51)

Il me faut très rapidement mettre la main sur le dernier roman d’Isabelle Aupy, L’âge du capitaine.

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Potins #99

Isabelle Aupy est une autrice française née en 1983.

POTIN – Elle est kinésithérapeute à Bordeaux.

Lisez : Le panseur de mots, Les échassiers, L’homme qui n’aimait plus les chats.

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Mon autre

Roman d’Herbjörg Wassmo.

« Ces deux-là, Rut et Gorm, n’ont cessé de se croiser par hasard depuis l’enfance, sans faire connaissance. » (p. 9) Mais enfin, leurs chemins se superposent dans les années 1980. Lui continue de diriger l’entreprise familiale dans le nord de la Norvège, elle poursuit sa carrière de peintre entre Oslo et le reste du monde. Elle comme lui arrive dans cette relation longtemps rêvée avec des casseroles, des doutes et des insécurités. Les débuts de la relation se font à distance, mais cela n’empêche pas les promesses. « Dans son inconscience, il lui avait affirmé qu’il serait toujours à côté quand elle aurait besoin de lui, où qu’elle se trouve dans le monde. » (p. 49) Rut repousse sans cesse les limites de son art, le nourrissant de son amour pour Gorm, parfois jusqu’à le prendre pour modèle. Gorm se révèle et s’épanouit en reprenant des études, mais surtout en s’investissant entièrement dans sa relation amoureuse. « Elle est l’Autre de sa vie. Non pas celle qui doit lui appartenir. Celle qu’il doit aimer. » (p. 52) Jusqu’au début des années 2020, ces deux êtres bâtissent une passion quotidienne, fondée sur la patience : les écarts sont toujours tristes, mais la confiance et solide.

Avec ce nouveau roman, Herbjörg Wassmo parle d’une femme qui a définitivement lâché prise, d’une autre qui se libère de la tyrannie mâle et d’un homme qui ose décevoir les attentes qui pesaient sur lui. Il est question de parents distants, de parents de substitution, de parents qui font de leur mieux… Au gré d’ellipses parfois vertigineuses, entre la Norvège septentrionale et les grandes capitales mondiales, l’autrice emmène ses protagonistes sur le long chemin de l’amour dont les embûches imposent sans cesse de réinventer l’affection que l’on porte à l’autre. « Tu es celle que j’aime sur cette terre et même un peu plus loin, que j’aime. Je pèse le mot. » (p. 151) Ce roman est loin d’être aussi flamboyant que la saga de Dina, mais j’ai aimé son caractère plus apaisé.

J’en retiens enfin quelques mots férocement justes sur la dépression et les efforts qu’elle demande pour garder sa place dans le monde. « J’espère au moins que j’en aurai appris quelque chose. Sur le désespoir et la honte, sur la solitude et l’incapacité à agir. Sur le fait que le visage qu’on montre aux autres, jour après jour, ne correspond pas toujours à ce qu’on ressent. » (p. 115)

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Bonne année !

Mes lapin·es, à l’occasion de la nouvelle année, je vous adresse tous mes vœux de belles lectures, de livres qui débordent des étagères et de découvertes littéraires !

Bonne année 2025 !

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Victor Hugo – L’homme océan

Ouvrage de Marie-Laure Prevost.

Parmi les 1 300 dessins que Victor Hugo a laissés, nombreux sont ceux qui rappellent son long séjour dans les îles anglo-normandes. « Seul l’océan est à la mesure de l’ampleur et du polymorphisme de l’œuvre de Hugo : poète, dramaturge, romancier, plasticien et homme politique. » (p. 4) L’ouvrage rassemble des croquis et des illustrations qui renvoient au roman Les travailleurs de la mer. À base d’encre, de crayon ou encore de peinture, les œuvres picturales de l’auteur sont étonnamment modernes, parfois à la limite du figuratif, voire tout à fait abstraites. Des lignes, des tâches, des ombres, et pourtant on voit la mer, les oiseaux, un bateau, une pieuvre et l’écume.

Ce petit livre se regarde avec fascination. Moi qui aime tant l’œuvre de Victor Hugo (l’homme, c’est autre chose…), je me suis délectée de ce pan de travail que je connaissais peu.

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Potins #98

Alain Ayroles est un scénariste de bande-dessinée français né en 1968.

POTIN – Pendant ses études à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême, il a rencontré Jean-Luc Masbou et Bruno Maïorana, respectivement auteur et dessinateur de BD.

Lisez : De cape et de crocs, Les Indes fourbes, L’Ombre des lumières : L’ennemi du genre humain, L’Ombre des lumières : Dentelles et Wampum

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2060

Roman de Lauren Bastide.

Un matin de juin 2060, une très vieille femme se réveille. Au gré de sa journée, à mesure que la température n’en finit pas de monter, elle vaque à ses occupations, sans déroger à sa routine, laissant les souvenirs affluer. Ce jour, c’est celui de la Fin du Monde, littéralement. Alors, c’est l’occasion ou jamais de passer en revue ce qui s’est passé. Dans les années 2020, la pollution est devenue hors de contrôle, l’eau potable a disparu par endroit tandis que le niveau des océans a commencé à monter irrémédiablement. En France, un régime fasciste a pris le pouvoir. « L’extrême-droite avait pris le pouvoir en 2027 et ne l’avait jamais rendu. » (p. 38) Délaissant son confort bourgeois, la femme, alors encore jeune, s’est transformée en militante féministe et écologiste. Elle en a payé le prix fort et, désormais âgée et sans projet, elle ne veut que le calme. « Elle ne veut plus combattre […]. Elle veut qu’on la laisse avec son espérance morte et ses vieilles chansons. » (p. 29)

Cette dystopie est tellement crédible qu’elle est finalement un message d’alerte : voyez ce qu’il ne faut pas faire si vous espérez vous en sortir ! Sous l’égide de Virginia Woolf, avec un air certain de Mrs Dalloway et du stream of consciousness, ce court roman se déploie au rythme des heures. L’atmosphère angoissante et oppressante m’a aussi rappelé Dans la forêt de Jean Hegland et Le mur invisible de Marlen Haushofer. De Lauren Bastide, j’ai déjà lu Présentes et La poudre : il est évident que l’autrice connaît ses lettres, surtout celles des autres femmes !

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Joyeux Noël !

À tous·tes les lapin·es qui m’ont suivie dans ce nouveau blog et à tous·tes les lapin·es qui passent le bout de leur museau de temps en temps, j’adresse un message de saison…

JOYEUX NOËL !

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Une femme au téléphone

Roman de Carole Fives.

Charlène a 62 ans. Elle est seule, esseulée. « Je ressens vachement la solitude affective… » (p. 16) Heureusement, elle a le téléphone : à tout moment, elle appelle sa fille et elle parle, elle parle, elle parle. D’elle, avant tout : chaque sujet ne parle que d’elle, de près ou de loin, surtout de près. « C’est sûr que je souffre et en même temps, j’ai l’impression que je vis l’aventure de ma vie. » (p. 19) Égoïste, impatiente, en demande, culpabilisatrice, dépendante, dépressive, irascible, odieuse, bipolaire, cruelle… Les adjectifs se suivent et se ressemblent plus ou moins décrire cette femme qui ressasse les mêmes sujets, accumule les reproches injustifiés et qui, d’un appel à l’autre, enchaîne les contradictions et les attitudes paradoxales, passant des déclarations d’amour maternel les plus ferventes aux piques les plus agressives. « Ton frère me dit que je deviens maniaco-dépressive à tendance casse-couilles. » (p. 39) Mérite-t-elle sa solitude ? Peut-être, finalement…

Le bandeau et la quatrième de couverture évoquent un humour noir et mordant : je n’ai souri à aucun moment tant le personnage est abominable, sinistre et désolant. Charlène est une femme et une mère toxique, manipulatrice et profondément méchante. « Et le fond d’écran ? Tu sais comment ça se change ? Non, parce que c’est ta tête que j’avais mise en fond d’écran, mais là, j’en ai marre, je voudrais bien voir autre chose. » (p. 62) J’ai détesté cette femme autocentrée de la première à la dernière ligne. Mais c’est tout le talent de Carole Fives que de donner vie à cet être de papier dont on jurerait qu’elle le connaît dans la vraie vie…

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Potins #97

Amélie Nothomb est une autrice belge née en 1966.

POTIN – Elle publie un roman par an depuis 1992.

Lisez : Stupeur et tremblements, Barbe Bleue, Acide sulfurique, Pétronille, Le crime du comte Neville, Frappe-toi le cœur, Les prénoms épicènes, Soif, Les aérostats, Psychopompe, L’impossible retour.

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Tu gères ! 100 cartes détachables qui filent la pêche !

Carnet de cartes dessinées par Louise, alias Lavilleetlesnuages.

  • Des paysages qui font respirer et voir plus grand ;
  • Des chiens et des chats fort dodus et fort encourageants ;
  • Des femmes puissantes et empouvoirantes ;
  • Des phrases simples, mais chocs ;
  • Des mots doux, des mots drôles.

Ce petit ouvrage est un concentré de confiance en soi ! Je suis fan des grands à-plats pastel et de ces messages qui oscillent entre cartes de vœux et affiches motivationnelles. J’ai détaché quelques cartes que je vais garder, voire encadrer pour les accrocher dans ma décoration. D’autres atterriront très vite dans la boîte aux lettres de certain·es de mes proches.

Quelques phrases choisies parmi mes préférées.

« Eh ouais mon pote, en culotte la vie c’est top ! »

« Est-ce que quelqu’un t’a rappelé à quel point tu es cool ? Non ? Bah c’est fait. »

« N’oublie pas tout ce que tu as surmonté. You’re a fucking star. »

« Je me vois pour ce que je suis : Un humain génial avec ses failles. »

« Vroum vroum bitches ! »

« N’aies pas peur d’avoir de l’ambition. »

« Dis donc, tu sais que t’es une pure bombe, toi ? »

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Lapinou – Sa vie, son œuvre

Album d’Aline de Pétigny.

Lapinou a un cœur cousu sur la poitrine et une feuille derrière l’oreille. Pour lui, ce n’est pas toujours facile d’apprivoiser ses émotions. Avec son ami Titus, petit hérisson qui pique, il apprend à aimer et à s’aimer, à pardonner et à se pardonner. Le jeune lapin se pose de grandes questions, sur lui-même, sur le temps ou encore sur le monde. « Si on ne me voit pas, est-ce que j’existe quand même pour les autres ? » (p. 15) Ce petit bonhomme aux longues oreilles apprécie la solitude, mais il reconnaît aussi quand il a besoin des autres. De page en page, il accepte ses doutes et ses insécurités. « Des fois j’ai peur… J’ai peur de ce que je ne vois pas… J’ai peur des autres, de leur regard. Que pensent-ils de moi ? Des fois, j’ai même peur de moi… je me demande ce que je ferais si je n’avais pas peur… » (p.6) Sensible, curieux, complexe et volontaire, Lapinou est un personnage terriblement attachant.

Avec ce joli petit album doucement pédagogique, la maison d’édition m’a envoyé un grand poster qui présente l’abécédaire des émotions de Lapinou. Voilà qui est parfait pour aider les enfants à mettre des mots et des images ce qu’ils ressentent. Le livre et l’affiche finiront très vite entre les mains d’un petit gars de ma connaissance.

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Les gens qui naissent

Ouvrage illustré de Marcella et Marie Poirier.

Dernière découverte dans la collection « Les gens qui » des éditions Les Venterniers, maison lilloise qui enchante mes lectures. Ici, les autrices, bonnes fées aux pinceaux et aux plumes magiques, se penchent sur le berceau des nouveaux-né·es pour écouter ce qu’iels ont à nous dire…

« Les gens qui naissent nous inondent de bonheur. »

« Les gens qui naissent n’ont qu’une vague idée du concept jour nuit. »

« Les gens qui naissent ne se doutent encore de rien. »

« Les gens qui naissent connaissent l’amour fou. »

Les illustrations sont drôles et tendres, parfaitement adaptées aux situations. Un doudou lapin se promène entre les pages, ce qui ne pouvait que me ravir. Une fois encore, avec ce petit ouvrage carré, relié à la main et numéroté, les Venterniers m’ont emportée dans un tourbillon de poésie douce et de folie jolie.

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Potins #96

Bernard Clavel est un auteur français né en 1923 et décédé en 2010.

POTIN – Après avoir quitté l’école à 14 ans, il a suivi un apprentissage en pâtisserie. Il s’est formé en autodidacte et est devenu journaliste dans les années 1950.

Lisez : Le tonnerre de Dieu (qui m’emporte), Le voyage du père, Les petits bonheurs, Histoires de Noël, L’arbre qui chante et autres histoires, Brutus.

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L’Ombre des Lumières – Lettres du chevalier de Saint-Sauveur – Tome 2 : Dentelles et Wampum

Tome 1 : L’ennemi du genre humain

Bande dessinée d’Alain Ayroles et Richard Guérineau.

Le chevalier Saint-Sauveur fait donc route vers le Nouveau Monde, contraint à l’exil pour se refaire une fortune, ou en tout cas pour sauver sa vie puisque son honneur est irrémédiablement perdu. Accompagné de Gonzague, son valet philosophe, et de Mitewile’un, un Indien d’Amérique qu’il a gagné au jeu, il espère s’en tirer en relevant un nouveau défi lancé par ses sinistres amis parisiens. Une forfaiture de plus ou de moins, cela ne compte pas pour Saint-Sauveur qui n’a de cesse d’utiliser les autres pour son plaisir ou ses intérêts. Le libertin sans vergogne envisage une nouvelle fois de sacrifier la vertu à l’orgueil et à la richesse. La cible de ses attaques mauvaises est la jeune Aimée d’Archambaud, certes fière, mais au cœur sensible et prompt à s’enflammer. Mais Saint-Sauveur ne s’attendait pas à ce que son domestique soit de plus en plus frileux à l’idée de participer à ses manœuvres et que son captif amérindien présente une telle indépendance d’esprit.

« D’aucuns se donnent beaucoup de peine pour se faire aimer, quand d’autres font tout pour qu’on les haïsse et obtiennent malgré tout l’effet inverse. » (p. 47) Ici, pas de doute pour moi, Saint-Sauveur est proprement détestable et irrécupérable, mais quelle joie de suivre Mitewile’un sur les chemins de son pays ! Je retrouve mon cher Québec, ses forêts immenses et sa nature sauvage. Hâte de lire le dernier tome de cette bande dessinée grandiose et de revoir certains personnages qui ont été, selon moi, un peu trop rapidement évacués…

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La collectionneuse de mots oubliés

Roman de Pip Williams.

Esme est une enfant quand elle rejoint l’immense entreprise de rédaction du dictionnaire d’Oxford, sous la direction du Dr Murray. Réfugiée sous la grande table de travail, la petite fille écoute les lexicographes, dont son père, et apprend l’importance de cette entreprise de catalogage. « Un nom doit signifier quelque chose pour être dans le Dictionnaire. » (p. 10) Esme grandit et, bien que femme, commence à participer à ce travail considérable, mais elle se pose de nombreuses questions. Pourquoi certains mots sont rejetés ? Est-ce par manque de sources littéraires ou parce qu’ils recouvrent une réalité dérangeante ? « Nous ne sommes pas les arbitres de la langue anglaise. […] Notre mission, je n’en doute pas, est de consigner, pas de juger. » (p. 39) Dans la malle de son amie Lizzie, Esme commence à ranger des fiches qui recensent des mots du quotidien, des mots du peuple, des mots de travailleurs, des mots de tous les jours, des mots de gens de peu de mots et, très souvent, des mots de femmes. « Je m’occupais de mots depuis des années – j’en avais lu, retenu, sauvé. Je me tournais vers eux en quête d’explication. » (p. 159) En recueillant ces termes triviaux, vulgaires, banals, affectueux ou détournés, en les illustrant avec des phrases venant du milieu où ces mots sont utilisés, Esme constitue peu à peu une collection parallèle, non officielle, tout le lexique d’une humanité qui n’entre pas dans les bibliothèques, qui ne lit pas les journaux, voire ne sait pas lire, et qui s’étonne que sa vie puisse figurer dans des ouvrages imprimés. « Les mots sont comme les histoires. […] Ils se transforment en passant de bouche en bouche, leur sens s’étire ou se rétracte pour s’adapter à ce qui est doit être dit. Le Dictionnaire ne peut évidemment pas restituer toutes les variations possibles. » (p. 195 & 196)

La vie fictive d’Esme Nicolls s’écrit aux côtés de la création du très sérieux et très réel Dictionnaire d’Oxford. Elle croise l’existence de personnages historiques et est le prétexte très intelligent à une exploration de l’Histoire anglaise, entre lutte pour le droit de vote des femmes et Première guerre mondiale. Esme est une jeune femme curieuse, érudite, ambitieuse et audacieuse, autant que pouvait l’être une femme du début du 20e siècle. « Je m’étais souvent demandé sur quel genre de fiche je serais écrite si j’étais un mot. Elle serait trop longue, sûrement. Peut-être de la mauvaise couleur. Un bout de papier qui n’était pas tout à fait conforme. » (p. 162) La collectionneuse de mots oubliés, c’est le portrait d’une femme avec ses choix, ses chagrins, ses joies et ses combats. J’ai lu ce roman avec délectation et avidité, impatiente de le retrouver à chaque pause ou le soir après le travail. Presque 600 pages dévorées en 4 jours. « N’oublie jamais ça, Esme. Les mots sont nos outils de résurrection. » (p. 46)

Je vous laisse avec un extrait dont la justesse est saisissante ! « Certains mots sont plus que des lettres sur une page. […] Ils ont une forme et une texture. Ils sont comme des balles de fusil, pleins d’énergie et quand tu les prononces, tu peux sentir leur bord tranchant sur tes lèvres. » (p. 274)

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Les gens qui lisent

Ouvrage de Clémentine Beauvais et Jérémie Luciani.

« Les gens qui lisent se passent le mot depuis des millénaires. »

« Les gens qui lisent ont des piles de pas lus qui seront pile parfaits un poil plus tard. »

« Les gens qui lisent se changent sous les couvertures. »

Chacune des phrases de ce délicat petit ouvrage relié à la main est parfaitement juste et les illustrations sont incroyablement adaptées aux situations. Quiconque connaît ou est soi-même un·e lecteur·e comprendra ce qui est dit, y verra un·e proche ou retrouvera ses propres jolis et vilains petits défauts.

J’aime tendrement les créations des éditions Venterniers : elles sont poétiques et décalées, un rien loufoques et terriblement réalistes, dessinant une humanité qui prend le temps de vivre et de créer des liens. À consommer sans modération, et je continue de compléter ma collection !

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Potins #95

Leonor de Recondo est une autrice et violoniste française né en 1976.

POTIN – Elle a commencé à étudier le violon à l’âge de 5 ans et a été lauréate du concours international de musique baroque Van Wassenaer en 2004.

Lisez : Rêves oubliés, Pietra viva, Point cardinal, Le grand feu.

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Azincourt par temps de pluie

Roman de Jean Teulé.

24 octobre 1415, l’armée française de Charles VI et l’armée anglaise d’Henry V se préparent pour la bataille. La première est confiante, grosse de plusieurs dizaines de milliers d’hommes. La seconde est épuisée par des mois en pays ennemi, récemment décimée par des moules pas fraiches. « Le nombre que nous formons est celui que le destin a décidé. » (p. 86) Et cette fichue pluie qui n’en finit pas de détremper le sol !

Le camp français ripaille toute la nuit, tandis que le camp anglais, soumis à la plus stricte austérité, remet déjà son âme à Dieu. Mais le destin est taquin et, une fois encore, on voit que ce n’est pas la taille qui compte. L’immense armée de Charles VI est embourbée dans un sol traître, éblouie par le bas soleil d’automne et encombrée d’armures malcommodes. En face, la petite troupe anglaise a tout loisir d’enchaîner les rafales de flèches. Le 25 octobre 1415 au soir, c’est plié : l’armée française est en déroute. Azincourt reste dans les mémoires comme le symbole d’une raclée, d’une branlée, d’une déconfiture, d’une sacrée déculottée !

Je retrouve avec ce roman historico-comique toute la verve de Jean Teulé : le style est enlevé, plein de faconde, grivois à plaisir, vulgaire dans les limites du raisonnable. L’auteur fait parler les personnages historiques, entre vieux français, english approximatif, poésie et prières à la va-vite. Cette lecture est plaisante, mais ce n’est certainement pas le texte que je préfère de l’auteur. Heureusement, Fleur de Lys, la belle prostituée, est le personnage le plus intéressant de ce roman. Entre deux soudards français, elle voit ce qui se trame : elle analyse les défauts du champ de bataille, au désavantage des Français, et se souvient des batailles passées. Cette Cassandre de ruisseau n’est évidemment pas prise au sérieux et assiste à la (double) débandade des Français. C’est bien pour elle que j’ai continué ma lecture.

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Bruno Liljefors : la Suède sauvage

Catalogue d’exposition, sous la direction de Sandra Buratti-Hassan et Carl-Johan Olsson.

Fin octobre, je me suis régalé les yeux avec cette superbe exposition organisée par le Petit Palais, là où j’ai déjà vu avec ravissement les œuvres d’Anders Zorn et d’Albert Edelfelt. Bruno Liljefors est un peintre suédois, à cheval entre le 19e et le 20e siècle, connu et reconnu en son temps pour ses toiles naturalistes et célébré pour son talent d’artiste animalier. « D’une composition très travaillée et d’un caractère décoratif indéniable, [ses tableaux] ne transigent pourtant jamais avec la réalité de la nature, la cruauté des prédateurs jaillissant derrière le joli vernis. » (p. 29) Liljefors s’est fait une spécialité de représenter l’animal dans son environnement, tant pour en capturer la beauté sauvage que pour alerter sur les menaces de l’industrie croissante. L’art se fait alors témoignage, archive et mise en garde.

Bruno Liljefors rend avec précision les pelages, les ramages et les ramures, mais surtout le mouvement des animaux, qu’ils soient fauves ou proies. Chasseur et acrobate, rompu à l’observation des bêtes au sol ou depuis les hauteurs, il travaille d’après photographies et croquis. « Liljefors apparaît comme le chantre de la nature septentrionale. » (p. 60) Le catalogue présente ses esquisses, ses études ou ses photos mises au carreau. Son œuvre se nourrit de la technique impressionniste et de l’influence japonisante du début de siècle, et elle évolue avec une simplification du trait : si les détails sont moins travaillés, les larges touches de peinture et les formes presque stylisées ne retirent rien à la figuration et tout est immédiatement reconnaissable.

Ses toiles ont été appréciées en France, en Allemagne et aux États-Unis, mais l’Europe a un peu oublié ce peintre suédois. C’est donc un bonheur de le découvrir au Petit Palais, d’admirer ses animaux frémissants et de plonger dans ses dioramas gigantesques.

Si vous aimez les beautés de la nature nordique, je vous conseille aussi l’œuvre du peintre danois Peder Severin Kroyer à qui le musée Marmottan-Monet a consacré une très belle exposition en 2021.

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Hildegarde

Roman de Léo Henry.

Quatrième de couverture – Religieuse, visionnaire, scientifique, poétesse et compositrice, l’abbesse Hildegarde de Bingen n’a cessé, depuis sa mort, d’inspirer femmes et hommes. Figure totale du Moyen-âge européen, elle déborde des limites du XIIsiècle et de la vallée Rhin où elle vécut : depuis sa berge de fleuve, entre Mayence et Cologne, Hildegarde rayonne sur l’univers entier. Née au moment où la première Croisade arrive à Jérusalem, elle meurt tandis que naissent les premiers chevaliers de romans. À son expérience de femme de pouvoir, son œuvre mêle observations et visions, unissant sous une même énergie vitale les mondes réels, imaginaires et divins. Léo Henry crée, autour de Hildegarde, un livre-monde qui emprunte ses formes autant au récit épique, qu’à l’hagiographie ou au roman picaresque. Une fresque, qui court de la création du monde à l’Apocalypse, et explore l’intrication du temps qui passe et des histoires que nous nous racontons. Inclassable et foisonnant, Hildegarde est un roman merveilleux, un roman de l’émerveillement.

Abandon en page 310… Pourtant, j’étais impatiente de commencer ce roman. Hélas, Hildegarde reste une figure lointaine dans les chapitres que j’ai lus. Peut-être devient-elle plus présente à mesure des pages, mais je n’ai pas eu la patience d’attendre et de continuer à suivre tous les personnages, fictifs ou réels, qui se réclament d’elle. Dommage, vraiment, car La Volte est une maison d’édition que j’aime particulièrement. Mais là, ça n’a pas cliqué…

Si Hildegarde en tant que personnage de roman vous intéresse, lisez Frénégonde, quand la fratrie s’emmêle de Lydia Bonnaventure !

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Potins #94

Les éditions Lapin ont été créées en 2005.

POTIN – Un des titres du catalogue des éditions Lapin a été censuré par Amazon qui considérait que l’ouvrage contenait « des éléments pornographiques ».

Lisez : Seximsme Man contre le seximsme, Les cartes de désavœux, Pas prêtes à se taire.

Ce n’est pas tout à fait par hasard que j’ai choisi ce dimanche pour parler de cette maison qui porte le nom de mon animal totem. Je m’offre le cadeau d’anniversaire que je veux !

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L’arbre qui chante et autres histoires

Recueil de textes de Bernard Clavel.

  • Un vieil homme fait la promesse de faire chanter un érable mort.
  • Un chien et une fillette nouent la plus solide des amitiés.
  • Deux enfants vivent le plus merveilleux des étés avec un vieil homme et son chien.

Dans ces trois nouvelles, aussi délicates que des contes, Bernard Clavel chante son amour de la nature. « Le bois, […] c’est un matériau noble. Vivant ? Toujours vivant. » (p. 10) Sa connivence avec l’enfance est enchanteresse : cet âge perdu est le territoire de joies simples et pures. La douceur est omniprésente : même au plus froid de l’hiver se niche un cœur tendre où palpite la vie.

Ne voulant pas vous gâcher le plaisir de la lecture, j’ai peu à dire sur ce recueil qui m’a profondément émue et qui colle parfaitement avec l’ambiance brumeuse de l’automne, dont je suis si friande.

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HHhH

Texte de Laurent Binet.

Himmlers Hirn heisst Heydrich : voilà pour le titre complet. Reinhard Heydrich, aussi appelé le bourreau de Prague, était responsable de la mise en œuvre de la solution finale pensée par Adolf Eichmann. Joseg Gabcik et Jan Kubis, un Slovaque et un Tchèque, ont fomenté un attentat contre ce nazi à l’existence sulfureuse. Tout cela stimule l’imagination de Laurent Binet. « Cette histoire dépassait en romanesque et en intensité les plus improbables fictions. » (p. 6) L’auteur se documente jusqu’à l’obsession, accumule des informations et des ressources, tire des fils et suit des indices. Les chapitres de son texte alternent entre son propre travail d’écriture et sa recherche d’une part et l’histoire de Reinhard Heydrich d’autre part. « Il me faudra résister à la tentation d’étaler mon savoir en détaillant trop telle ou telle scène sur laquelle je suis documenté. » (p. 16)

Il est rare que j’aime les textes où l’auteur·ice prend le prétexte d’un événement réel pour parler de lui ou elle-même. Ce procédé me semble souvent trop autocentré sur la personne qui tient la plume, le sujet historique étant généralement relégué au second plan, écrasé par l’égo de l’écrivain·e. Ça n’a pas manqué ici : j’aurais préféré un texte qui se concentre uniquement sur l’enquête de l’auteur, plutôt qu’une œuvre où ce dernier comble – avec quelle légitimité ? – les blancs de l’histoire quand ses recherches n’aboutissent pas. Fiction, roman historique et essai historique sont des genres bien distincts, et leur mélange presque toujours indigeste pour moi.

Dommage, car j’ai passé d’excellents moments de lecture avec La septième fonction du langage et Civilizations.

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