Je, François Villon

Roman de Jean Teulé.

En 1431, alors que Paris est encore aux Anglais et que la pucelle de France a brûlé sur le bûcher ennemi, celui qui allait devenir un grand poète voit le jour. François dit Villon ne connaît pas longtemps sa mère qui est suppliciée pour vol. Confié à la douce garde du chanoine Guillaume de Villon, François grandit comme une herbe folle. Destiné à la tonsure et à l’étude juridique, le jeune homme ne veut pas être clerc. Turbulent, impertinent et élève médiocre, il boit trop d’hypocras avec de joyeux compagnons de folies et préfère la compagnie des coquins et des ribaudes à celle des maîtres de l’université. Très tôt s’éveille en lui la passion du verbe et de la composition : « Je songe à d’autres vers, je ressens des rimes inconnues qui frissonnent. » (p. 67) C’est dit, François Villon sera poète. Mais il ne ravira pas les cours des puissants avec son talent : ce qu’il veut, c’est chanter la liberté et les forfaits de ses compagnons, quoi qu’il lui en coûte : « Je veux cette vie-là jusqu’à la corde. Ah, je me plais dans cette ordure. Ah, nom de dieu ! » (p. 80)

Alors que son bon tuteur se désespère de le voir mal tourner, François n’aspire qu’à vivre mille expériences criminelles. « Nous avons perdu en François un honnête homme mais nous avons gagné à jamais un grand poète. » (p. 91) Entouré de canailles et de putains, il passe sa jeunesse entre farces d’écolier et affronts aux puissants et aux riches. Quand les blagues de potache le lassent, il rejoint la Compagnons de la Coquille, célèbres écorcheurs sans foi ni loi, sans pitié ni tabou. Il apprend leur langue argotique et devient leur poète attitré, celui qui rime les pires forfaits et chante les crimes les plus hideux. « Voilà, c’est fait. Je vais pouvoir apprendre puis écrire dans votre langue. J’ai réalisé un vol scandaleux aux yeux de tous et commis un crime écœurant devant témoins. » (p. 194) François n’en était pas à son premier crime, mais après ce baptême d’infamie, il consomme définitivement la forfaiture en s’accoquinant avec cette sinistre troupe. Pour eux, il sacrifie même sa belle et tendre Isabelle.

Tant de vilenies lui forgent une réputation qui dépasse Paris et le précède. « Vous êtes le mauvais garçon du siècle ! » (p. 276) s’exclame un noble. Personne n’en doute et les forces de l’ordre courent après lui tant qu’elles le peuvent. Mais Villon est un grand chanceux : souvent capturé et dûment torturé, sans cesse promis au gibet ou à toute autre mort violente, il doit son salut à de bienveillants ou improbables intercesseurs. Le temps passant, Villon se lasse de cette vie de fuite et d’horreur. Toute la fragilité de son existence lui saute aux yeux : « Mon destin – la désespérance d’un poète en haillons qui laissera à toutes les broussailles d’ici à Roussillon les lambeaux de son méchant vêtement. » (p. 325) De retour à Paris, il désespère de trouver la paix. Là encore, sa réputation l’a précédé et s’est fabuleusement développée, à tel point que le poète ne s’y reconnaît pas : « Je constate que je suis débordé par le personnage légendaire que je deviens pour la jeunesse à Paris. » (p. 407) Sa fin, quelle est-elle ? Banni de la capitale, il disparaît derrière les remparts et ainsi commence à tout jamais la légende du premier poète maudit.

Le texte s’ouvre sur la description d’un bûcher et d’un corps consumé. Détails à l’appui, le lecteur comprend immédiatement qu’il ne sera pas pris avec des pincettes dans ce roman ! Il est plongé dans la crotte, le vice, l’ordure et la débauche de la tête au bout des chausses. Jean Teulé s’y entend pour étaler des chairs plus ou moins roses et des corps suppliciés, toujours avec truculence et humour. La machine humaine n’est pas grand-chose face à la machine de la douleur. L’époque dont traite le texte était propice aux supplices et à la fameuse question capable de faire avouer un saint. Avec la menace permanente du gibet de la torture, la cruauté devient un spectacle dont se régalent les puissants et les gueux. Et avec quel panache les mauvais garçons rendent leur dernier souffle : les truands vont à la mort en fanfarons !

Alors que passent les grands l’époque, le roi Charles VII et son fils Louis ou l’évêque Thibaut d’Aussigny célèbre pour son manteau cousu de langues humaines, François Villon semble un parmi d’autres. Jean Teulé écrit ici un roman biographique, mais c’est le roman qui prend toute la place. La vie du poète est tellement extraordinaire et ponctuée d’évènements improbables que nous n’aurions nulle difficulté à croire que cette histoire est sortie tout droit de l’imagination de l’auteur.

Dès la construction du titre, Jean Teulé nous immerge dans la langue médiévale. Il utilise des termes désuets et déploie un lexique d’une grande richesse. Parler des choses de l’époque avec les mots de l’époque, c’est encore ce qu’il y a de mieux pour apprécier toute la saveur d’un récit ! Et les illustrations et gravures renforcent encore l’impression que nous avons remonté le temps.

L’auteur a écrit des romans similaires sur Verlaine et Rimbaud, alors devinez donc qui il cite en exergue ! Sous ce haut patronage à rebours du temps, l’histoire et la poésie de François Villon peut s’écrire sans difficulté. Jean Teulé pousse l’audace jusqu’à trouver l’origine de la ballade des ‘Neiges d’antan’ et écrit un épisode d’enfance aussi touchant que probable sur la source d’inspiration du texte que Villon écrivit à 14 ans et qu’il clouât sur le gibet de Montfaucon. En reproduisant à l’identique les plus fameuses compositions du poète vagabond et en lui donnant la parole, Jean Teulé lui rend un hommage qui transcende les âges et qui fait rimer liberté avec majesté, même si elle ne règne que sur les bas-fonds.

Le premier tome de l’adaptation en bande dessinée par Luigi Critone, intitulé Mais où sont les neiges d’antan reprend à l’identique le texte de Jean Teulé et s’achève au moment de la rencontre entre Villon et Isabelle. Affaire à suivre donc et du succulent !

L’image est superbe et les couleurs ont cet aspect patiné et un peu poussiéreux qui convient aux vieille histoires. Mais le trait est vif et rien n’est immobile. Ce premier album est une belle entrée en matière et j’ai hâte de lire la suite !

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.