La mer et les petits poissons

Nouvelle de Terry Pratchett.

Chaque année se tiennent les Jugements des Sorcières, sorte de concours où les dames à chapeau pointu s’affrontent. Et chaque année, Esmé Ciredutemps remporte la compétition. C’est une question de talent, certes, mais surtout une question d’orgueil: puisqu’elle est la meilleure, il est normal qu’elle gagne. Cette année, le comité organisateur ne l’entend pas de cette oreille et invite Mémé à se montrer plus sympathique et moins compétitive. « La sorcellerie, ce n’est plus une question d’être une vieille bougonne et de faire peur aux gens. » (p. 17) Or, elle n’est pas née, celle qui en remontrera à Mémé : qu’à cela ne tienne, Mémé décide de se montrer sous son meilleur jour… ce qui affole tout ce que Lancre compte de personnes un peu sensées !

Revenir au cycle des sorcières, quelle joie ! Je n’en ai jamais assez de Mémé et de Nounou, surtout de Nounou, ma sorcière préférée, si bonne vivante et sûre de ce qu’elle veut. « Elle était d’avis qu’employer la sorcellerie pour attirer les garçons était une excellente idée. D’une certaine manière, c’était un des attraits majeurs de la sorcellerie. » (p. 12) En une quarantaine de pages, j’ai retrouvé l’esprit retors de Mémé et son air de ne pas y toucher et j’ai ri de bon cœur ! Il me faut désormais me procurer le recueil des nouvelles que Terry Pratchett a écrites autour du Disque-Monde !

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Histoires de Noël

Recueil de contes de Bernard Clavel.

  • Un chant d’esclaves s’élève d’un bateau négrier la nuit de Noël.
  • Un pauvre bûcheron traverse une nuit de labeur pendant que des puissants festoient.
  • Un roi fait un rêve de paix et de justice auquel personne ne croit.
  • Un petit garçon apprend la générosité et le partage.
  • Des marionnettes font un dernier tour de piste pour remercier un vieil homme.
  • Un émissaire très attendu n’arrive pas.
  • Le Père Noël vient bien de quelque part…
  • Un accident de voiture change la vie d’un homme privilégié.
  • Un apprenti boulanger se trouve bien solitaire dans le froid de la nuit du 24 décembre.
  • Le Père Noël attend sa relève, à l’aube de l’an 2000 et des promesses du nouveau millénaire.

J’ai lu avec délice ces contes qui oscillent entre histoires populaires et tranches de vie très humaines. C’est doux, c’est nostalgique, c’est plein de tendresse et d’espoir, sans perdre le sens des réalités. « Si on continue à leur distribuer des mitrailleuses, un jour ils demanderont des bombes atomiques. » (p. 65) L’ouvrage s’achève sur une photo de Bernard Clavel avec son chat : que nous les aimons, ces petites bêtes ronronnantes !

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Potins #92

Nathalie Novi est une illustratrice et autrice française née en 1963.

POTIN – Elle a appris la gravure en taille douce avec Pierre Courtin.

Je l’ai découverte avec les ouvrages qu’elle a illustrés pour les éditions Tibert, mais j’ai hâte d’explorer le reste de son œuvre.

Lisez : Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent, Les quatre filles du Dr March et Alice au pays des merveilles.

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Maudits

Roman de Joyce Carol Oates.

Quatrième de couverture – Jusqu’alors un havre de savoir, paisible autant que réputé, Princeton est encore en ce mois de juin 1905, une communauté anglo-saxonne riche et privilégiée sous tous les rapports. Mais ce matin-là, à l’heure même de son mariage, au pied de l’autel, Annabel Slade, fille et petite-fille d’une des grandes familles des lieux, est enlevée par un homme étrange, vaguement européen, plus ou moins prince et qui, en fait pourrait bien être le Diable en personne. Et Princeton ne sera plus jamais comme avant. L’affaire plonge non seulement les Slade dans la honte et le désespoir, mais elle révèle l’existence d’une série d’événements surnaturels qui, depuis plusieurs semaines, hante les habitants de la ville et ses sinistres landes voisines. Habitants parmi lesquels on compte Grover Cleveland (qui vient juste de terminer son second mandat à la Maison-Blanche), Woodrow Wilson, président de l’Université, un individu compliqué obsédé par l’idée du pouvoir, ou encore le jeune socialiste Upton Sinclair et son ami Jack London, sans oublier le plus célèbre des écrivains/buveurs/fumeurs de l’époque, Samuel Clempens-Mark Twain, tous victimes de visions maléfiques. La noirceur règne parmi ces personnages formidables que Josiah, le frère d’Annabel, décidé à la retrouver, va croiser au cours de cette chronique d’une puissante et curieuse malédiction : car le Diable est vraiment entré dans la petite ville et personne n’est épargné… à part le lecteur à qui est offerte avec ces Maudits une fascinante étude des mœurs et de l’histoire politiques des États-Unis au XIXe siècle.

Je fais confiance à la quatrième de couverture pour résumer cet exceptionnel pavé de Joyce Carol Oates ! Cette lecture addictive m’a tenue en haleine les derniers jours d’octobre, alors que la soirée d’Halloween se profilait. Maudits est le genre d’histoires à raconter pour se faire délicieusement peur. Et le narrateur sait y faire : historien de son état, il nous dit avoir compilé des lettres, des confessions, des journaux intimes, des articles de presse et bien d’autres sources pour retracer l’historique de la Malédiction. « Car Maudits se veut un ouvrage interrogeant la complexité morale des faits, et non une resucée “sensationnaliste” d’un ancien et terrible scandale qu’il vaut mieux laisser moisir dans la tombe ! » (p. 267) Dans ces pages, il est question d’un royaume des marécages, d’un double lynchage, d’un serpent noir, de nombreuses morts spectaculaires et de revenants. Que faut-il croire des événements rapportés ? « Tel est le dilemme de l’historien : nous pouvons consigner les faits, nous pouvons les assembler, fidèlement et méticuleusement, mais nous ne pouvons les interpréter que jusqu’à un certain point. Et nous ne pouvons créer. » (p. 187)

Une fois encore, Joyce Carol Oates explore à plaisir et à merveille l’histoire américaine et ses obsessions, en mêlant le vrai et la fiction. Comme dans Mon cœur mis à nu, elle propose une image étrange de l’Amérique, à l’instar d’une photographie sépia qui laisserait apparaître un spectre en arrière-plan. Tremblez, vous qui ouvrez ce livre, le mal imprègne chaque page !

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Le bonheur est une valise légère

Roman de Frank Andriat.

Selma mène sa carrière avec ambition et son couple avec efficacité. Stressée, toujours en mouvement constamment tendue et prompte à l’agressivité, elle sait qu’elle est sur la mauvaise pente. « Elle détestait se trouver sans cesse en porte-à-faux avec elle-même. » (p. 23) Au hasard d’un train annulé, elle rencontre Grégoire, homme calme qui lui montre qu’il est possible de vivre dans l’instant. Forcée de s’arrêter après une rupture et un burn-out, Selma doit faire le point : sa carrière est-elle plus importante que son existence ? « À quoi rime une vie où aucun lien n’est créé ? » (p. 77)

Ce roman avait deux atouts charme : les textes de Jean-Jacques Goldman et ceux de Christian Bobin. J’ai évidemment fredonné les premiers dès qu’ils apparaissaient dans les pages, mais les seconds sont désespérément absents. Il y a une phrase très juste sur cet auteur que je découvre avec ravissement depuis quelque temps, mais c’est à peu près tout. « Il offre des ailes d’ange à chaque détail du quotidien. Il s’émerveille de ce que nous ne voyons pas. » (p. 35)

Les descriptions des personnages ne sont pas très fines et les dialogues franchement téléphonés. « Réussir dans la vie, c’est bien, mais réussir sa vie, c’est mieux. » (p. 101) Le point noir de ce roman, selon moi, c’est le mépris affiché envers les antidépresseurs et le traitement de la dépression. Oui, Selma va mieux à la fin du roman, elle a retrouvé une stabilité grâce aux discussions pleines de sagesse avec Grégoire. Leurs échanges sont jolis, gentiment philosophiques, mais finalement assez creux. « Quand on tourne les yeux vers la lumière, l’obscurité s’essouffle. » (p. 149) Quand un·e auteur·ice a pour objectif de délivrer un message positif, il doit prendre garde à la forme. J’ajouterai que le bonheur, c’est comme les pâtes à la sauce carbonara : tout le monde a sa recette et aucune n’est meilleure qu’une autre. Les méthodes ou les injonctions à la joie, ça m’agace profondément ! Décidément, la littérature feel-good, ce n’est pas pour moi… Et une fois encore, ma théorie est prouvée : les romans aux titres à rallonge ne sont pas de ceux qui me plaisent !

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Isabelle Eberhardt : un destin dans l’islam

Biographie de Tiffany Tavernier.

Isabelle est la fille illégitime d’une aristocrate russe, veuve et déjà mère de nombreux enfants, et d’un moujik, également père de son côté. « À travers ces pages, c’est beaucoup plus qu’un morceau de littérature qui nous est offert, c’est le témoignage d’une âme formidablement libre. Celui d’une jeune fille de la noblesse russe qui est allée jusqu’à embrasser l’islam et devenir un cavalier arabe dans l’extrême Sud algérien. » (p. 11) Élevée avec ses frères et sœurs dans une maison isolée sur les hauteurs de Genève, elle bénéfice d’une éducation libre et ouverte inspirée des théories de Tolstoï et Bakounine. Très tôt, Isabelle rêve d’ailleurs, surtout d’Algérie, ce pays chatoyant où son aîné a rejoint la légion. Elle lit sans cesse, elle apprend le turc et l’arabe, en plus des langues européennes qu’elle maîtrise parfaitement. Curieuse de tout, impatiente et avide de sublime, elle cherche une existence plus grande que la sienne. « Agir, donner un sens à sa vie, bouger ! Mais vers qui se tourner, dans cette Genève de fin de siècle pour vivre un tel frisson ? » (p. 50) Sa première aventure, c’est l’écriture : Isabelle envoie ses nouvelles à diverses revues et elle correspond avec tous·tes ceux et celles qui peuvent élargir son horizon : cheikh installé à Paris, officier posté dans le désert algérien, exilés russes ou turcs. En 1897, enfin, c’est le premier départ pour l’Algérie : si Isabelle ne cesse d’aller et venir entre la France et le Maghreb pendant sa courte existence, elle ne se départ jamais de sa fascination pour ce pays de dunes et de sable. Farouchement libre et sensuelle, foncièrement indépendante et non conventionnelle, elle porte des habits d’homme, se fait appeler Si Mahmoud, a de nombreux amants, boit et fume, monte à cheval et se convertit à l’islam. « Avec presque soixante-dix ans d’avance sur la libération sexuelle, elle passe d’une aventure à la suivante sans éprouver de culpabilité. Faire l’amour tient pour elle de l’offrande mystique. » (p. 141) Ébranlée par la perte de ses proches et les errements d’Augustin, son frère adoré, Isabelle oscille continuellement entre désespoir et exaltation. Certes, elle se fait un nom dans les salons littéraires : ses nouvelles et ses écrits sur l’Algérie sont acclamés, mais la jeune femme ne vit que dans le mouvement. Souvent étranglée par le manque d’argent qui contraint ses projets et ses déplacements, Isabelle retrouve son énergie grâce aux voyages dans le désert et à la vie auprès des habitants des villages reculés. « Animée par une réelle soif d’absolu, la fille voue un culte aux actes héroïques. » (p. 120)

Quelle vie flamboyante et quelle femme épatante ! Isabelle Eberhardt disparaît à 27 ans, noyée lors de la crue d’un oued : elle avait encore tant à vivre et à écrire ! Il me tarde maintenant de découvrir ses textes. Cette biographie m’a beaucoup rappelé l’œuvre picturale d’Étienne Nasreddine Dinet, français converti à l’Islam, admirateur inconditionnel des beautés de l’Algérie et fervent défenseur de ce pays.

Après avoir lu deux romans de Tiffany Tavernier, je découvre le talent de l’autrice pour conter des vies réelles et nous faire entrer dans des existences hors du commun. Il est certain que je poursuivrai de lire ses textes !

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Potins #91

Christian Bobin est un auteur français né en 1951 et décédé en 2022.

POTIN – Il a toujours vécu loin des mondanités littéraire, plus heureux dans les prés qu’à Saint-Germain.

Lisez : Le Très-Bas, Une petite robe de fête, La plus que vive, Le muguet rouge, La femme à venir, La grande vie.

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Les aiguilles d’or

Roman de Michael McDowell.

Le premier jour de l’année 1882, le meurtre d’un notable secoue New York. Pour le juge Stallworth et son gendre avocat, Duncan Phair, c’est l’occasion rêvée de demander l’éradication du Triangle Noir, cet ensemble de quartiers où règnent le vice, le danger et le crime. Nettoyer cette partie de la ville nourrit leurs visées politiciennes et leurs ambitions personnelles et serait une belle façon de discréditer les Démocrates qui occupent l’Hôtel de Ville. Cette opération de grande ampleur est soutenue par un journal qui publie ainsi ses meilleures pages. « Le Tribune innovait, éventrait les pavés de la ville pour révéler au grand jour l’enfer aux murs brûlants et éclairés de lanternes rouges qui, fourmillant de répugnants monstres glapissants, grouillait sous leurs pieds. »(p. 93) Cette agitation policière, judiciaire, médiatique et moralisatrice ne fait pas les affaires de Lena Shanks, matriarche criminelle et receleuse, mère d’une avorteuse et d’une meurtrière et grand-mère de deux mômes voleurs et menteurs. « Lena commença à penser que les Stallworth s’étaient tous ensemble dressés contre elle et les siens, menaçant non seulement leur gagne-pain, mais aussi leur liberté. » (p. 115) Cependant, Lena la Noire a un vieux compte à régler avec le juge Stallworth. Ainsi, deux familles s’opposent, entre justice et vengeance.

Comme dans Katie, l’auteur prend plaisir à lancer une famille de scélérats contre la bonne société, mais ici avec plus de jubilation dans le mal et le crime. Les représailles de la très rancunière Lena n’épargnent personne, donc ne vous attachez pas aux « gentil·les », car ces dernier·es ne sont pas loin d’être aussi pourri·es que les malfrats du Triangle Noir. « Il fallait être chanceux et travailleur pour survivre à ces vicissitudes. La vertu n’y avait aucune place. » (p. 66) J’ai dévoré ce roman avec délectation : voilà une lecture parfaitement doudou, délicieusement immorale.

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Monsieur le Lapin Blanc

Album de Benjamin Lacombe.

« Ce Lapin Blanc était célèbre dans tout le Pays des Merveilles pour son extraordinaire capacité à être en retard. Quelle que soit la situation, il était toujours en retard d’une carotte ou deux. » (p. 5) Personne n’ignore que le charmant petit animal blanc n’est pas ponctuel, en dépit de ses plus grands efforts, et ce même quand il devient majordome de la Reine de Cœur.

Toutefois, ce qu’il perd en exactitude, le Lapin Blanc le compense en émerveillement et en imagination. Il n’est jamais le dernier – pour une fois – à raconter d’extraordinaires histoires et à inventer des événements spectaculaires ou incongrus. « Peut-être que je suis en retard selon les horloges, mais je suis en avance sur le temps que je veux prendre pour découvrir les choses. » (p. 18) Et puis le Lapin Blanc rencontre Camille qui est toujours en avance et très rationnelle : les contraires s’opposent… et ce qui compte, c’est de vivre au rythme de son cœur ! « Les horloges sont une illusion ; le temps n’a importance que pour ce que l’on en fait. » (p. 16)

Ayant récemment relu le roman de Lewis Carroll dans une belle édition illustrée par Nathalie Novi, je me réjouissais de cette parution dédiée à mon animal totem. J’ai suivi le Lapin Blanc avec bonheur, croisé en vitesse la petite Alice et regardé une aurore boréale.

Benjamin Lacombe fait vibrer chaque poil de son adorable petit personnage et j’en redemande ! Par chance, j’ai en ma possession le calendrier tiré de cet album : de quoi égayer mon quotidien en 2025 !

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On n’ampute pas le cœur

Récit de Matthieu Lartot.

En 2023, Matthieu Lartot est amputé de la jambe droite. Cette opération n’est que la dernière d’une très longue série. Mais avant ça, il y a eu l’enfance et la passion pour le sport, surtout le rugby avec, pendant un temps, la possibilité d’un sport-étude et d’une carrière. « J’aime […] cette injonction silencieuse et permanente au dépassement de soi. Elle me sera bien utile dans l’histoire qui suit. » (p. 20) Hélas, une douleur au genou, apparemment bénigne, dévoile un mal profond, un cancer rarissime. À 17 ans, Matthieu subit ses premières interventions et une longue convalescence. Le sport à haute intensité lui est interdit, mais il a un nouvel objectif : devenir journaliste sportif, et tant pis si sa jambe ne se plie plus et lui impose claudication et douleurs. « Je suis prêt à tout entendre, à tout subir, pourvu que j’aie le bonheur de parler un jour de sport, à défaut d’en faire. » (p. 68) Matthieu intègre France Télévisions, il couvre des événements sportifs dans le monde entier, il fonde une famille. En bref, il fait tout pour vivre au-delà du handicap, un mot dont il ne veut pas entendre parler. Mais voilà, le cancer récidive après 20 ans de répit : cette fois, Matthieu le sait, il ne se bat plus pour rester mobile, mais pour rester en vie ; l’amputation est la seule option.

« Dans un cas aussi sérieux que le mien, l’espoir est une tumeur qu’il faut éradiquer avant qu’elle ne se répande. » (p. 46) Matthieu Lartot est très honnête et lucide quand il avoue qu’il lui a fallu du temps pour accepter le mot « handicap ». La réalité, il la connaît : les douleurs, les stratégies d’évitement, les compensations, etc. Mais le terme, il n’en voulait pas, jusqu’à comprendre que ce n’est pas un gros mot. L’auteur, journaliste incontournable de Stade 2, parle de maladie, de guérison et de résilience avec humilité et courage. Son témoignage est évidemment émouvant : il est surtout profondément humain.

Livre lu dans le cadre du prix Sport Scriptum 2024.

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Potins #90

Les Venterniers sont une maison d’édition lilloise fondée en 2012.

POTIN – Leur nom vient d’un terme du 19e siècle qui désignait un cambrioleur qui s’introduit par la fenêtre. Tous les livres de cette maison sont fabriqués à la main et numérotés.

Lisez : Les gens qui likent, Les gens qui cherchent leur chat, Les gens qui s’aiment, Les gens qui dansent, Les gens qui plantent, Les gens qui osent, Les gens qui lisent.

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Alice Milliat, la femme olympique

Texte de Sophie Danger.

Le 20 août 1922 se sont tenus les premiers Jeux olympiques féminins, organisés par Alice Milliat, bien décidée à prouver au baron Pierre de Coubertin que les femmes ont leur place, autant que les hommes, dans les stades, et pas uniquement dans les gradins. Bien qu’ayant appris à aimer le sport sur le tard, Alice Milliat est rapidement convaincue de ses bienfaits. Mais se heurtant aux refus des clubs de la laisser pratiquer l’aviron, elle fait son combat de l’ouverture de tous les sports aux femmes. « Ramer pour la gloire n’a jamais été son but, ce qu’elle veut, c’est ramer pour l’exemple, consciente que ses prouesses sportives peuvent servir la cause. » (p. 27) Présidente de la Fédération des sociétés féminines sportives de France, puis de la Fédération sportive féminine internationale, elle ne cesse de relancer le CIO pour demander que les Jeux olympiques intègrent des épreuves féminines. Face à la mainmise des hommes sur les instances sportives, Alice Milliat ne renonce pas : elle imposera les femmes et luttera toujours contre les préjugés misogynes, en particulier celui de la prétendue fragilité physique des femmes. Si celles-ci étaient bonnes pour les travaux des champs ou la chaîne pendant la guerre, elles sont bonnes pour le sport !

Bien que simple dans sa construction, résolument chronologique après le prologue, cette biographie est passionnante, bien plus riche que ne l’était la BD documentaire Alice Milliat, pionnière olympique de Didier Quella-Guyot. Chaque chapitre est précédé par un extrait d’article ou d’interview d’Alice Milliat : déterminée et combattive, elle n’avait pas la langue dans sa poche ! J’ai pris grand plaisir à suivre dans le détail la vie de cette femme engagée pour les femmes, au début du 21e siècle. C’était l’occasion de revoir brièvement Violette Morris et de découvrir les premiers palmarès féminins. Cette lecture m’a rappelé un chouette roman, Le Ladies Football Club.

Livre lu dans le cadre du prix Sport Scriptum 2024.

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Les Jeux olympiques de littérature

Roman de Louis Chevaillier.

Quatrième de couverture – Le saviez-vous ? De 1912 à 1948, les Jeux olympiques comprenaient des épreuves d’art et de littérature. Inspiré par l’Antiquité, Pierre de Coubertin croyait essentiel d’associer écrivains et artistes à sa nouvelle religion du sport. À l’olympiade parisienne de 1924, on recrute pour les lettres des jurés prestigieux : les diplomates Jean Giraudoux et Paul Claudel, le pirate décadent Gabriele d’Annunzio, le poète Paul Valéry, la romancière Edith Wharton, les prix Nobel Maurice Maeterlinck et Selma Lagerlöf… Parmi les concurrents, on remarque les jeunes Henry de Montherlant et Robert Graves. Raconter ce concours et ses médailles, c’est plonger dans l’histoire du sport durant les Années folles, quand il devient un objet politique en démocratie comme en dictature. C’est aussi réfléchir aux liens entre spectacle littéraire et spectacle sportif. Sueur, argent, célébrité, paniers de crabes, mais aussi camaraderie : ce livre s’attache à rendre un corps aux littérateurs. D’anecdotes en exploits, il propose une flânerie sur un terrain méconnu, à une époque où l’écriture passionnait les foules autant que les prouesses athlétiques.

« On savait qu’écrire demandait de la discipline… mais une discipline olympique ? Pourtant, entre l’aviron et le 400 mètres haies, la littérature a bel et bien eu ses épreuves aux Jeux olympiques de 1924. » (p. 4) Quand je m’en tiens au résumé, c’est rarement bon signe. J’ai lu ce livre jusqu’au bout, mais avec un malaise grandissant à mesure que j’identifiais une amertume certaine, voire une aigreur, dans les propos de l’auteur, à la sauce « c’était mieux avant ». Une phrase, surtout, a retenu mon attention : « Imagine-t-on Kylian Mbappé répondre ainsi à Antoine Griezmann dans le magazine Lire ? » (p. 141) J’y vois un mépris de classe assez violent. Autre reproche que j’adresse à ce texte, certes brillamment écrit, c’est la recension interminable des œuvres des membres du jury et des participants, dans une obsession systématique qui confine au catalogue. Certes, je retire de cet ouvrage mille idées de lecture, mais le sujet principal est insuffisamment traité à mes yeux. « Pour juger du niveau d’un sportif individuel, c’est généralement très simple. On fait confiance au chrono, à la hauteur sautée, au nombre de tirs dans la cible. En équitation, on peut rajouter des pénalités pour avoir raté un obstacle. Ou des notes en dressage individuel, mais en littérature, comment faire ? » (p. 119) Voilà ce qui m’intéressait, voilà la réflexion que j’aurais apprécié voir approfondie. « Il est difficile d’appliquer les statistiques à la littérature, alors qu’elles ont envahi le domaine sportif. » (p. 90)

En fin d’ouvrage, Louis Chevaillier propose la composition d’un jury pour une édition moderne des JO littéraires : les noms sont illustres et pertinents. Il n’est pas avare de détails quand il présente la genèse des Jeux olympiques modernes et il est sans aucun doute éminemment érudit. L’auteur connaît ses lettres et les palmarès, et il est probablement un adversaire redoutable au Trivial Pursuit. Son ouvrage ne m’est pas tombé des mains, mais il s’en est fallu de peu.

Livre lu dans le cadre du prix Sport Scriptum 2024.

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L’icône immolée

Roman de Lionel Froissart.

Ayrton Senna nous parle. Il sait qu’il est mort, qu’il va mourir. Le 1er mai 1994 est son dernier grand Prix. La veille, Roland Ratzenberger est mort sur le circuit d’Imola, pendant les qualifications. L’avant-veille, c’est Rubens Barrichello qui sortait indemne, mis à part un bras et le nez cassés, d’un accident spectaculaire. « Il y a tant de façons de mourir en Formule 1. ». (p. 11) Les signes sont inquiétants – jamais deux sans trois –, mais le pilote brésilien veut courir. Et il fait grand beau en ce premier jour de mai, au-dessus de la piste italienne. Certes, la sécurité des circuits historiques semble de plus en plus insuffisante à mesure que les bolides gagnent en vitesse et au gré des évolutions techniques et des réglages. « À chaque fois que l’on monte dans une voiture de course, il faut accepter la part de risque qui est parfois le prix à payer en échange du plaisir unique et privilégié que nous offre le pilotage de ces formidables voitures. » (p. 45) Certes, les accidents semblent se multiplier depuis quelque temps et des coureurs ont préféré raccrocher le volant. Comme Alain Prost, le concurrent et l’ami de longue date. Ayrton passe en revue ses souvenirs de courses, d’entraînements et de victoires, mais aussi les drames qui ont endeuillé les circuits. Face à l’excitation et au plaisir de la vitesse, la peur s’allège. Hélas, elle est pourtant le poids qui devrait garder les champions au sol.

J’avais 9 ans quand Ayrton Senna a péri à Imola. Je me souviens des images. J’avais 9 ans et j’essayais de retenir les noms des coureurs que mon père regardait rouler, le dimanche après-midi. J’avais 9 ans et c’est la première fois que j’ai eu peur des voitures. OK, les bolides de Formule 1, ce sont des voitures particulières, mais ça ne m’a jamais quitté. J’avais 9 ans et je rappelle avoir été triste de la mort de cet étranger. La tragique fin d’Ayrton Senna est un souvenir pesant. Avec ce récit d’outre-tombe, Lionel Froissart rend un bel hommage au pilote brésilien. Sous ses mots, on sent la vitesse, on entend le bruit des pneus qui chauffent, on ressent les accélérations et les virages. Mais entre les lignes, on ne peut s’empêcher d’avoir terriblement peur. « Je dois reparler à Franck. Je dois lui répéter ce qui ne me plaît pas dans cette Williams. Je ne m’y sens pas à l’aise, je ne suis pas en confiance. Elle est très difficile à piloter et à maîtriser. C’est une machine imprévisible, vicieuse. Peut-être est-elle tout simplement loupée. » (p. 15) Sur le même sujet, je vous recommande À tombeau ouvert de Bernard Chambaz.

Livre lu dans le cadre du prix Sport Scriptum 2024.

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Potins #89

Lewis Trondheim est un bédéiste français né en 1964.

POTIN – Il est l’un des membres fondateurs de l’OuBaPo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle).

Lisez : Le bonhomme est prolifique… Mildiou, Richard et Dieu, Les fins du monde, Galopinot.

Les formidables aventures de Lapinot : Un monde un peu meilleur, Slaloms, Blacktown, Pichenettes, Walter, Amour et intérim, Vacances de printemps, Pour de vrai, La couleur de l’enfer, La vie comme elle vient, L’accélérateur atomique.

Les nouvelles aventures de Lapinot : Les herbes folles, Prosélytisme et morts-vivants, Un peu d’amour, L’apocalypse joyeuse, Midi à quatorze heures, Sous le trottoir/Ultra secret, Par Toutatis !, 31 juillet.

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Ma promesse en héritage

Récit de Paoline Ekambi, coécrit avec Liliane Trevisan.

Sous-titre : Comment une championne a survécu à l’inceste

Un père incestueux. Une mère indifférente. À quatorze ans, Paoline est violée et personne ne la défend dans son foyer. Après une prime enfance plutôt heureuse avec ses frères, bien que pauvre et secouée de sévères corrections physiques, l’adolescente n’est plus en sécurité chez elle. Son échappatoire, c’est le basket. Paoline est grande et douée : sur le terrain, elle se démarque, au point d’intégrer l’INSEP et d’avoir des espoirs nationaux. « Je ne le sais pas encore, mais mon corps, ce corps tout déglingué et meurtri, va devenir le plus bel outil de mon salut… » (p. 78) Cinq jours par semaine, l’internat est un refuge, un lieu où la vie ne fait pas peur, où il ne faut pas craindre les portes qui claquent et les pas dans le couloir. Mais les week-ends sont un retour terrible dans une famille muette, passivement complice. La grande incompréhension de Paoline, c’est surtout sa mère : comment est-il possible de rester indifférent à la souffrance de son enfant, de sa seule fille ? « J’avais un besoin vital d’obtenir ses explications, ses réponses. Il fallait qu’elle assume. Devant moi. » (p. 21) Alors, de la souffrance et de la colère, l’adolescente fait son carburant : la majorité approche et, avec elle, la libération. Chaque match joué sur le terrain et chaque entraînement forgent son destin de championne.

Ce récit à quatre mains est très bien écrit, vibrant d’émotion, de sincérité et de courage. Je déplore un nombre assez conséquent de fautes typographiques et grammaticales, mais c’est la déformation professionnelle qui parle. Ce texte est indispensable, nécessaire. D’autres livres avant celui de Paoline Ekambi ont ouvert la voie du #MeTooInceste : aucun récit ne sera jamais superflu pour lutter contre les violences intrafamiliales. « La parole doit libérer l’indicible, il faut écouter et comprendre pour pouvoir dénoncer, puis guérir et rendre justice. » (p. 229) Les témoignages des proches de la sportive éclairent la façon dont l’omerta se construit et doit être renversée : la vie privée ne mérite plus ce titre quand des enfants sont en danger, et quiconque a connaissance d’actes violents ou tout type d’agression doit agir.

Je vous laisse avec quelques extraits de ce remarquable témoignage.

« Contre les déchirures de l’enfance, mon endurance de sportive m’a été si précieuse pour tenir le choc. » (p. 26)

« Pourquoi un agresseur est-il présumé innocent ? Et pourquoi dit-on d’une victime qu’elle est ‘victime présumée’ ? Cela n’insinue-t-il pas insidieusement qu’elle ment, qu’elle ne l’est pas vraiment ? » (p. 27)

« Je n’avais pas le choix, je devais réussir dans le sport pour échapper à tout le mal que me faisaient mes parents. » (p. 110)

« Je vais écraser mes parents par ma rage, les rendre si petits, si minables. Ça sera ça, ma rage sur le terrain… » (p. 161)

Livre lu dans le cadre du prix Sport Scriptum 2024.

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La femme à venir

Roman de Christian Bobin.

Elle est un peu triste, l’enfance d’Albe, entre deux parents inaccomplis. « Un peintre qui n’expose plus, un écrivain qui ne publie pas. » (p. 12) L’âge tendre est aussi marqué par de terribles pertes et des amitiés douloureuses. La petite est rêveuse, exaltée, impossible à contenir. « À dix ans, je crois en Dieu, je l’appelle par son nom, il vient aussitôt, il mange dans ma main. Il accourt sans délai, il me cueille, la fleur-Albe, il me respire toute et me jette où il veut, à son heure. » (p. 25) L’enfant grandit, l’adolescence se passe avec ses indicibles tumultes, et voilà Albe au seuil troublant de l’âge adulte. Elle y plonge, entière et avide, curieuse de tout goûter, presque impatiente d’être déjà lassée de tout. « Il y a une méchanceté dans le cœur, si enfoncée qu’on ne pourrait l’enlever sans mourir aussitôt. On appelle ça le désir. C’est un des noms pour dire le sombre, comme le clair. C’est un nom qui dit le sombre dans le clair. » (p. 35) Mais Albe n’a pas encore fait les rencontres les plus importantes de son existence, celles qui la réaliseront complètement.

Albe la blanche, quel merveilleux personnage de Christian Bobin, poète délicat, mais sauvage aussi ! L’air de rien, la plume innocente, il jette des phrases qui bouleversent, qui s’impriment dans les yeux et la mémoire. « La douleur comme l’amour sont de mauvais ouvriers. Ils ne savent jamais entrer dans l’âme jusqu’en son fond. Mais y a-t-il un fond ? » (p. 50) En moins de cent pages, l’auteur dresse un portrait complet et complexe, crédible et attachant. « Elles sont deux en une, à présent : l’insoucieuse et l’inconsolable. On ne pourra plus les séparer. » (p. 28) Albe est l’incarnation de la féminité, non pas par des artifices ou par des qualités faussement rattachées à son sexe : elle est la femme parce qu’elle est la vie jaillissante, l’énergie qui ne s’épuise pas.

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Annales du Disque-Monde – 7 : Pyramides

Roman de Terry Pratchett.

Fraîchement diplômé de la guilde des assassins d’Ankh-Morpork, Teppic doit rentrer chez lui, au royaume de Jolhimôme. Le roi est mort, et c’était son père, et accessoirement le dieu très révéré du pays. Teppic monte donc sur le trône et découvre le poids du pouvoir, surtout quand il se matérialise dans un masque d’or qu’il doit porter pendant des heures, tandis que le grand prêtre Dios interprète très cavalièrement ses instructions. Et puis, comme le veut la coutume, il faut ériger une pyramide pour inhumer la dépouille du défunt monarque et préserver pour toujours son existence dans l’au-delà. « Il n’y a rien de mystérieux dans le pouvoir des pyramides. Les pyramides sont des barrages dans le cours du temps. » (p. 125) Ce n’est rien de dire que ce projet pharaonique ne plaît à personne, sauf à Dios, enragé gardien des traditions, et au bâtisseur qui y voit l’occasion d’une sacrée publicité pour sa petite entreprise. Par chance, puisque nous sommes sur le Disque-Monde, rien ne va se passer comme prévu : la pyramide construite en quelques semaines accumule trop d’énergie, le pays disparaît et les servantes refusent de mourir.

Voilà un bien étrange volume des Annales du Disque-Monde, un OVNI dans la mécanique huilée que Terry Pratchett assemble depuis le début de sa grande œuvre. Mais qu’est-ce que je me suis bidonnée ! Moi la nulle en calcul, j’ai glapi de joie devant les camélidés qui, eux, ont vraiment la bosse des mathématiques. « Les connaissances mathématiques humaines ont toujours été freinées par une tendance instinctive […] à compter des doigts. Les chameaux, eux, ont dès le départ compté des nombres. » (p. 153) C’était tout à fait plaisant de me balader dans cet ersatz d’Égypte, mais je veux retourner à Ankh-Morpork parce que je suis très frustrée de n’avoir eu qu’un avant-goût des pratiques de la guilde des assassins. « L’important, ce n’est pas le nombre de gens que tu vas inhumer, mais le nombre de ceux qui n’arriveront pas à t’inhumer, toi. » (p. 19)

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Potins #88

Tiffany Tavernier est une autrice français née en 1967.

POTIN – Sa mère a choisi son prénom en souvenir du film Breakfast at Tiffany’s.

Lisez : En vérité, Alice, L’ami, Isabelle Eberhardt : un destin dans l’islam.

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Faïel et les histoires du monde

Roman de Paolo Bellomo.

Dans ce roman, vous trouverez :

  • Une veuve qui ne pleure pas ;
  • Un village entier qui rejette une famille endeuillée ;
  • Une enfant qui parle aux animaux ;
  • Des mains qui font fondre l’acier ;
  • Une parcelle de terre où pousse une forêt impénétrable ;
  • Une ville envahie et une ville-tombeau ;
  • Des rats qui meurent par centaines ;
  • Une femme nourrit par une hirondelle ;
  • Des êtres à la peau éternellement blanchie par la poussière ;
  • Des disparus, des rescapés et des revenants ;
  • La résistance.

Sans s’attacher à un protagoniste unique, le récit navigue entre les histoires, les lieux et les époques. Impossible à situer dans le temps et l’espace, ce conte sylvestre et montagnard parle d’une humanité aussi grandiose que misérable. « D’autres disent que la ville était frappée par une malédiction à cause de ce qu’ils vous ont fait. » (p. 123) Les pages croisent Faïel, Samouèle, Sisine, Djesuppne, Ouittorye, Frangui et bien d’autres, autant de noms étranges, presque familiers, mais venus de nulle part. Ce qui est certain, c’est que l’impossible est à portée de main et que les certitudes ne sont pas des vérités.

Aux éditions du Tripode, je vous recommande chaudement deux romans sublimes de Dimitri Rouchon-Borie, Le démon de la colline aux loups et Le chien des étoiles.

Je vous laisse avec une phrase qui résonne puissamment en moi. « Elle savait bien, au fond, que si sa bile chauffait à blanc, c’était à cause de cette foule de gens bien-pensants qui, sous prétexte de vouloir l’aider à sortir de sa douleur, voulaient la voir flancher, fléchir, se plier au malheur, se plier, en vrai, à eux. » (p. 40)

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Alice au pays des merveilles

Roman de Lewis Carroll.

Faut-il vraiment résumer ce conte loufoque ? « Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle. » (p. 120) Tout commence quand Alice, enfant remuante, s’engage à la suite du lapin blanc dans un tunnel. La suite, ce sont des rencontres étranges, des animaux qui parlent, des aliments qui font grandir ou rapetisser, des mers de larmes et tant d’autres choses qui relèvent du rêve ou de l’imagination débridée de l’enfance. « Alice était tellement habituée désormais à n’attendre que de l’extraordinaire, qu’il lui parut tout triste et tout stupide de devoir admettre qu’il ne se produisait rien d’anormal. » (p. 29) Sa petite chatte Dinah lui manque, et même si ses aventures sont épatantes, la petite fille se demande si elle pourra rentrer chez elle.

Je ne compte plus vraiment mes relectures de ce livre que j’ai déjà présenté en 2015 et 2018 sur ce blog. L’occasion de le rouvrir cette année, c’est la publication par les éditions Tibert d’une version illustrée par Nathalie Novi, artiste dont je chéris les œuvres. Dans le catalogue de Tibert, j’ai déjà relu plusieurs classiques : Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent et Les quatre filles du Dr March. Pour cette Alice, l’illustratrice a orné les pages de guirlandes de fleurs qui me rappellent l’esthétique de William Morris, autre artiste de mon panthéon personnel. Au gré des chapitres, la couleur du fond des pages change, tout comme l’encre utilisée pour le texte. C’est un charmant camaïeu de bleus et de roses. Avec les ouvrages des éditions Tibert illustrés par Nathalie Novi, Lili est au pays des merveilles.

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Jacaranda

Roman de Gaël Faye.

Milan grandit à Versailles. Ses parents sont un couple mixte – père français, mère rwandaise –, mais vacances à l’Île de Ré tous les étés. Tout change en 1998 quand sa mère lui propose un voyage au Rwanda. Milan a 16 ans et il découvre le pays qui compose la moitié de ses origines, une terre qui panse des plaies profondes et frémit d’une urgence de vivre. « On célèbre quoi, au juste ? […] / Rien ! On fait des stocks de fêtes, au cas où. On rafistole nos foutues jeunesses gaspillées. » (p. 59) Avec son oncle Claude et ses ami·es Eusébie, Sartre, Rosalie et Stella, Milan apprend l’histoire du Rwanda, les massacres, le génocide et les tribunaux populaires. Au gré de ses séjours, plus question de tourisme : il veut comprendre ce qui sépare la justice de la vengeance et comment les jeunes générations des deux ethnies peuvent cohabiter. Retrouver les corps des disparu·es, ouvrir les charniers, juger les génocidaires, reprendre les terres et les biens spoliés, tout cela anime ceux qui ont échappé aux machettes. « L’indicible, ce n’est pas la violence du génocide, c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout. » (p. 96) Entre commémoration et réconciliation, à mesure que les décennies passent, il devient plus difficile de différencier les héros des bourreaux : les histoires se réécrivent, les mémoires s’effacent et les témoignages déchirent, enkystant toujours plus la parole et freinant le retour de la confiance. « Ce pays est empoisonné. On vit avec les tueurs autour de nous et ça nous rend fous. » (p. 64) Quel est l’héritage de celleux qui sont né·es après ou qui sont né·es ailleurs, comme Milan dont la mère ne lâche pas une parole sur son passé ?

J’ai récemment découvert Petit pays, premier roman de l’auteur, déjà tout entier tourné vers le Rwanda. Avec ce deuxième texte, Gaël Faye persiste et signe : son talent d’écrivain n’est plus à démontrer, pas plus que son intelligence émotionnelle et politique face aux drames d’un pays qui n’est pas si petit si l’on rassemble toutes les voix qui s’en élèvent.

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Potins #87

Jules Verne est un auteur français né en 1828 et décédé en 1905.

POTIN – Sept romans et un recueil de nouvelles ont été publiés après sa mort par son fils Michel.

Lisez : L’école des Robinsons, Paris au XXe siècle, Le Rayon-Vert, Voyage au centre de la terre, Les cinq cent millions de la Bégum, Les révoltés de la Bounty, Cinq semaines en ballon, Un drame en Livonie, Robur le conquérant, De la terre à la lune, Les tribulations d’un Chinois en Chine.

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Dors ton sommeil de brute

Roman de Carole Martinez.

Une nuit, tous les enfants du monde poussent le même hurlement, à la même heure. Le Cri fait le tour du globe et a des répercussions terribles. « Comme il fallait être en confiance pour s’abandonner ainsi à la nuit et accepter de perdre connaissance ! Tout pouvait arriver durant ce temps où, sans défense, nous laissions nos corps à quai et voguions ailleurs. » (p. 25) Quelques nuits plus tard, un autre phénomène secoue à nouveau les petit·es de tous les pays et malmène la planète. Pour les parents, pour les adultes, les innocent·es endormi·es sont désormais les messagers des malheurs à venir qui s’abattront sur la Terre. « Nous sommes une énergie, un mouvement vif, un sursaut. » (p. 84) Que faut-il craindre des rêves que les enfants partagent, en communion avec la nature ? Faut-il y lire les prophéties d’un monde qui se meurt et appelle à l’aide, dans un ultime soubresaut ? Chaque crépuscule fait naître la peur de ce qui, peut-être, se produira aux heures les plus sombres. « Désormais les rêves laissaient donc des traces dans notre monde. Ils pouvaient tuer. » (p. 128) Quelque part en France, une mère qui protège sa fille du mal intime est soudain rattrapée par le mal mondial. Entre un homme qui découvre trop tard ce qu’est l’amour et un autre qui ne sait que trop combien l’amour peut faire souffrir, les catastrophes universelles se mêlent aux catastrophes intimes, dans un cauchemar dont personne ne sait si l’on peut s’en réveiller. « La Terre nous demande quelque chose à travers les rêves de nos enfants, nous devrions l’écouter et retrouver l’équilibre. » (p. 134)

Depuis son premier roman, Carole Martinez m’enchante avec des histoires où le fantastique affleure sous la surface de la réalité. « Aussi séparés que nous puissions être du reste du monde, nous sommes un morceau d’humanité et tout ce qui la secoue nous secoue. » (p. 106) Ici, elle m’a attrapée dès les premières pages et tenue en haleine jusqu’au dernier chapitre où elle m’a lâchée, brusquement, dans une fin où je ne trouve ni résolution ni logique. Ai-je mal compris le dénouement des nuits terribles qui frappent son roman ? Ça ne m’empêchera pas de continuer à lire cette autrice.

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Veiller sur elle

Roman de Jean-Baptiste Andrea.

Dans une abbaye isolée d’Italie, un vieil homme se meurt. Alors qu’il vit ses derniers souffles, il se laisse emporter par ses souvenirs. On le découvre enfant, dans l’Italie du début du 20e siècle, garçon au physique différent, déjà immensément talentueux pour sculpter la pierre. À Pietra d’Alba, village perdu loin de Rome, il est un apprenti doué malmené par un maître cruel. Mais pas de souffrance pour Mimo le nabot : il est l’ami de Viola, fille de la puissante famille Orsini. La gamine est très vive, étrange par bien des aspects, presque inapte au monde dans lequel elle évolue. « Viola ne tenait jamais en place. Il en devenait presque difficile de l’observer de la décrire. » (p. 93) Son immense mémoire et son insatiable curiosité l’empêchent de se contenter du destin que l’on trace pour elle. Viola veut voler, Mimo veut être un maître de son art. Les deux mômes sont liés par une amitié nocturne, gardée secrète par l’ombre des tombes, et leurs serments d’enfants les suivront toute leur existence. Les décennies passent, l’Italie passe par le fascisme et la guerre. Mimo est mondialement reconnu, mais rien ne vaut d’être vécu sans son insaisissable amie. « Il n’y a pas de Mimo Vitaliani sans Viola Orsini. Mais il y a Viola Orsini, sans besoin de personne. » (p. 120) De succès en compromission et rédemption, le sculpteur laisse une œuvre extraordinaire, inspirée par Viola, cette femme qui voyait si loin au-delà de son sexe.

J’ai lu sans déplaisir ce gros roman de quelque 600 pages. Les deux protagonistes sont autant attachants qu’agaçants, mais la sympathie l’emporte : ce sont des gamin·es qui apprennent douloureusement, comme tant d’autres, à être adultes. Le titre a un double sens, rapidement dévoilé dans les premiers chapitres. Certes, Mimo veille sur Viola, mais il y a d’autres acteurs qui veillent sur un autre objet d’intérêt. « Il est là pour veiller sur elle. Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. » (p. 10) Et là réside toute ma frustration : je voulais en savoir plus sur cette statue extraordinaire façonnée par Mimo, cette œuvre si superbe qu’elle rend presque fo·u·lle. « On l’enferme pour la protéger. […] Elle est là, ne vous inquiétez pas, elle se porte à merveille, à ceci près que personne n’a le droit de la voir. » (p. 44) L’amitié décousue de Viola et Mimo est belle, mais la révélation finale, certes fracassante, est expédiée bien trop rapidement après des chapitres laconiques. Veiller sur elle est une belle lecture, mais qui ne me restera pas indéfiniment.

En résonance de ce roman, je vous conseille sans aucun doute Pietra Viva de Leonor de Recondo.

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Les âmes grises

Roman de Philippe Claudel.

En 1917, dans un petit village de l’est de la France, l’hiver se glace encore plus quand Belle de Jour est retrouvée assassinée. « Ce n’est guère gros un corps de dix ans, qui plus est mouillé par une eau d’hiver. » (p. 19) Ce crime odieux envers l’innocence et la beauté secoue les esprits engourdis par le froid et la guerre et génère d’autres malheurs. « Le chagrin tue. Très vite. Le sentiment de la faute aussi, chez ceux qui ont un bout de morale. » (p. 155) Le narrateur dont on découvre progressivement la douleur intime raconte l’Affaire, des décennies après. Cette remémoration est le prétexte pour retracer les jours passés et les existences intriquées d’une poignée de notables et de pauvres gens dans une province anonyme, au début du siècle.

Ce lent récit tient autant de l’enquête que du témoignage et de la confession. Il détaille les inimitiés entre les villageois, les bassesses humaines en temps de conflit et les égoïsmes inévitables de ceux et celles qui sont marqué·es par le malheur. « Le crime chez nous est plus nombreux qu’ailleurs. C’est peut-être parce que les hivers sont longs et qu’on s’y ennuie et que les étés sont si chauds qu’ils mettent le sang en fusion dans les veines. » (p. 43)

J’ai découvert ce roman en 2008 et j’en gardais un souvenir très vague. Philippe Claudel étant un de mes auteurs chouchous, il fallait que je relise ce texte. Bien m’en a pris : j’y retrouve l’écrivain que j’aime, sa délicatesse et son talent pour parler de toutes les formes de deuil. « Il est reparti dans ses regrets, et m’a laissé dans les miens. Je savais, comme lui sans doute, qu’on peut vivre dans les regrets comme dans un pays. » (p. 204) Décidément, cette période de relecture m’est très favorable !

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Potins #86

Liv Strömquist est une bédéiste suédoise née en 1978.

POTIN – C’est une conférence féministe dans un café alternatif qui change sa vision du monde.

Lisez : Les sentiments du prince Charles, La rose la plus rouge s’épanouit, Dans le palais des miroirs.

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La Mer de la Tranquillité

Roman d’Emily St. John Mandel.

En 1912, en 2020, en 2203 et en 2401, des individus expérimentent le même phénomène étrange : iels sont soudain comme projetés dans un autre monde, entre arbres gigantesques et structure métallique, entouré·es d’une mélodie au violon et d’un bruit assourdissant. « Des moments qui se sont produits à des siècles différents viennent à se fondre les uns dans les autres. » (p. 127) Tout commence à Caiette, sur l’île de Vancouver en Colombie-Britannique. Au fil des siècles, entre la Terre et les colonies lunaires et au mauvais gré de pandémies dévastatrices, cette anomalie temporelle et géographique suscite des questions de plus en plus complexes. « Il peut arriver que des moments, dans le cours du temps, se corrompent mutuellement. » (p. 219) Les personnages qui y sont confrontés oscillent entre étonnement et frayeur : sont-iels être fous ou folles ? Comment croire en la réalité quand celle-ci semble se déliter sous nos yeux ? « Nous vivons dans une simulation, mais j’ai faim. Suis-je censé croire que c’est une simulation, ça aussi ? » (p. 129)

J’avais assez peu apprécié Station Eleven, autre roman de l’autrice. Ici, je me suis autrement régalée ! Avec cette science-fiction précise et simple, emily St. John Mandel continue d’explorer un sujet récurrent de son œuvre, les pandémies. « La maladie nous effraie parce qu’elle est chaotique. Elle a quelque chose de terriblement arbitraire. » (p. 83) Contrairement à Station Eleven qui est paru avant le Covid, La Mer de la Tranquillité a quelque chose de très concret. Le confinement, la contagion inexorable et l’angoisse d’être atteint ou séparé·e des siens, ce nous sont des choses familières. De fait, il est très pertinent de se demander ce que l’on pourrait faire pour y échapper et protéger les autres.

Je doute de garder un souvenir très marqué de cette lecture, mais elle m’a fait passer un très bon moment.

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Jacomimi

Album de Rébecca Dautremer.

Au gré de saynètes adorablement dessinées, l’autrice détaille les qualités – ou serait-ce les défauts ? – de Jacominus. « On n’est jamais trop mignon. » Rejoint par ses petit·es camarades, le lapin joli fait la nique aux bien-pensants et autres rabat-joie. Être trop, ce n’est pas un problème et les ami·es de Jacominus vous le diront : « On l’aime TROP, Jacomimi ! »

Cessons de nous dévaloriser, de chercher des failles en toute chose. Vivre à fond, c’est bon ! Avec ce nouvel album pour tous·tes petit·es, aux épaisses pages cartonnées, Rébecca Dautremer ajoute une pierre à l’édifice déjà bien solide d’un univers inoubliable, celui de l’extraordinaire Jacominus Gainsborough.

De la même autrice-illustratrice, lisez Les riches heures de Jacominus Gainsborough, Midi pile, Des souris et des hommes, Une toute petite seconde et Une chose formidable.

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Le muguet rouge

Texte de Christian Bobin.

Dans ce court ouvrage, l’auteur déploie une poésie en prose cryptique, entre symbolisme et surréalisme. « Les chiens électroniques perdent leur flair devant un cœur en crue. » (p. 21) Chantre infatigable des mots, il en célèbre le double pouvoir, le double visage : écriture/lecture. Les mots sont une force qui transcende l’humain, qui lui font dépasser sa mortelle condition. « Mes mains sont ce lutrin fait pour accueillir les ailes battantes d’un livre. » (p. 20) Avec méfiance et une animosité certaine, le poète évoque le progrès inexorable et la technologie déshumanisante, lui qui reste un éternel rêveur, un amoureux de la vie et de la beauté. « Terrible amitié des écrans qui ne dorment jamais. Plus d’âmes, que des clients. » (p. 15) Évoquant ses cher·es disparu·es, sans amertume ni nostalgie, Bobin reste profondément convaincu de l’éternité de l’art : cela, seul, sauvera l’humanité. « Il faudra des milliers d’années pour que les déchets d’uranium ne soient plus mortels. Il faudra beaucoup plus, avant qu’un poème cesser d’irradier par son silence un lecteur de hasard. » (p. 58)

Dire que la plume de Christian Bobin est belle, c’est dire l’évidence. Les mots de ce discret poète sont de ceux qu’il faut relire pour en percevoir l’écho têtu et comprendre le sens profond.

« Toi seule auras lu les œuvres complètes de mon cœur. » (p. 13)

« Un ami, c’est quelqu’un à qui on fait le cadeau de l’étonner. » (p. 17)

« Je ne suis pas plus religieux que le muguet sauvage. Pas moins non plus. » (p. 31)

« Que jamais le nihilisme ne vienne prendre son impôt sur le bord de mes lèvres. » (p. 41)

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