Au soir de sa vie, Carmela raconte l’histoire des Scorta. À Montepuccio, en Italie du Sud, un jour où le soleil était fou, Luciano a violé Immacolata. De cette union sacrilège est né Rocco, le premier des Scorta. Marié avec la Muette, il a eu trois enfants, Domenico, Giuseppe et Carmela. « Une famille devait naitre de ce jour de soleil brûlant parce que le destin avait envie de jouer avec les hommes, comme les chats le font parfois, du bout de la patte, avec des oiseaux blessés. » (p. 29) Un quatrième enfant s’ajoute à cette famille, Raffaele. Ce gamin a choisi les Scorta, même s’il sait que cette famille traînera toujours avec elle une réputation funeste. « Il ne fallait pas espérer les lampions pour les Scorta. » (p. 69)
Tout le village a peur d’eux, mais personne ne songerait à les chasser : les Scorta appartiennent à cette terre. « La relation qu’entretenait Montepuccio avec les Scorta était faite d’un mélange indémêlable de mépris, de fierté et de crainte. » (p. 91) Les Scorta ont fait le serment de toujours servir leur famille : ce défi lancé au monde n’est pas un affront, mais une revendication fière, un pari lancé sur l’avenir. Toute la fortune des frères Scorta est investie dans le premier bureau de tabac du village et c’est Carmela qui veille aux intérêts du clan. Elle aime et protège les siens, à la fois patiente, fière et intraitable.
Un autre serment lie les Scorta : chacun devra, avant de mourir, transmettre un savoir à un de ses neveux ou nièces. Les Scorta sont pauvres comme la misère, ils n’ont aucun patrimoine, mais leur héritage est immense et ne doit pas sombrer dans l’oubli. Et qu’importe si la véritable histoire des Scorta n’est connue que d’eux seuls ! Qu’importe si les autres ne connaissent qu’une légende ! « Ce que l’on dit de vous, l’histoire qu’on vous prête, c’est cela qui compte. Je voulais qu’on prête New York aux Scorta. » (p. 133) Chez les Scorta, les gens sont taciturnes, alors chaque parole pèse et résonne.
Le soleil brûle les rues de Montepuccio et fait naître la fureur chez les hommes, surtout chez les Scorta où les hommes ont le sang fou : « Je suis un Scorta. Qui brûle ce qu’il aime. » (p. 186) Ne cherchez pas d’êtres normaux chez les Scorta : chacun a la conscience aigüe d’appartenir à une puissance éternelle. Ce roman célèbre le soleil, la pierre et la rocaille. Il dessine l’histoire fabuleuse d’une lignée de fous et d’ambitieux. Porté par la plume âtre de Laurent Gaudé, ce roman est aussi capiteux que le vin qui coule des grappes brûlantes mûries sur les coteaux italiens.