Roman de Nick Cave.
Depuis le suicide de Libby, son épouse, Bunny Munro est à la dérive. Vendeur au porte-à-porte de produits de beauté, il part avec son fils, Bunny Junior, sur les routes du sud de l’Angleterre, avec sa valise d’échantillons et le sentiment de sa mort imminente. Aiguillonné par un désir sexuel permanent, il enchaîne les relations de quelques instants, entre deux gorgées d’alcool et une bouffée de Lambert & Butler. Bunny Junior attend son père toute la journée, sur le siège passager, son encyclopédie sur les genoux. Du père ou du fils, on ne sait plus qui soutient l’autre.
Avant tout, je précise que, si j’ai acheté ce livre, c’est exclusivement pour la bouille de lapin en peluche qui figure sur la première de couverture. Pour ceux qui l’ignorent, je fonds comme une glace au soleil à la vue d’un lapin… Je n’ai appris qu’après, bien après, que Nick Cave est un chanteur réputé aux diverses casquettes artistiques. Voilà pour les circonstances d’arrivée de ce livre entre mes mains.
Comme le dit le titre, on assiste aux derniers moments de Bunny Munro. Dès le début du texte, le personnage a le sentiment de sa mort imminente. Moi, j’ai eu le sentiment d’un homme qui brûle la chandelle par les deux bouts, qui scie la branche sur laquelle il est assis, qui joue ses dernières cartes. J’ai eu des difficultés à éprouver de la sympathie pour cette épave rongée par ses vices, pour ce père inattentif et maladroit, pour ce vendeur baratineur et tripoteur.
Après quelques pages seulement, j’étais déjà lassée par l’abondance des termes grivois, des scènes obscènes et des situations vulgaires. Le personnage principal éprouve une fascination visuelle obsédante pour le sexe féminin, dont il convoque l’image à tout moment. Pour lui, il semble n’y avoir que ça, comme un retour perpétuel et inévitable à un point d’origine. J’ai fini par avoir constamment en mémoire la toile de Gustave Courbet, L’origine du monde.
Outre l’addiction morbide au tabac et à l’alcool, Bunny Munro prête incessamment à ses fantasmes les traits d’icônes féminines, tout particulièrement des chanteuses pop. Défilent page après page Madonna, Britney Spears, Beyoncé, Avril Lavigne, Kylie Minogue et son mythique minishort lamé or, au son tonitruant de son Spinning Around, tube qui déborde vulgairement de l’auto-radio. Aucune finesse nulle part, les relations physiques selon Bunny Monro le chaud lapin ne sont que des coïts précipités ou des satisfactions solitaires.
Une autre agression filtre au travers des lignes, une agression visuelle par les couleurs. Il y a le jaune canari de la Fiat Punto que conduit Bunny, le jaune canari de sa chemise favorite, le jaune canari de la porte d’entrée de l’appartement. L’éblouissante couleur dégouline partout comme dégouline le rouge sang du nez démoli de Bunny, le rouge sang du ketchup qui coule des sandwich, le rouge sang des vêtements de ceux que croisent Bunny. Les couleurs finissent par n’être que des tâches qui se mélangent sur la palette brisée de Bunny.
Bunny Junior est un personnage dont j’ai peiné à comprendre la place. Il souffre de blépharite et dissimule ses yeux irrités derrière des lunettes noires. Petit génie à la mémoire fabuleuse, il ne lâche pas l’encyclopédie que lui a offerte sa maman. Au fil de mots comme « mante religieuse » ou « copulation », il tente de comprendre son père. Bunny Junior « est le passager d’un avion, et là, il vient d’entrer dans le cockpit pour réaliser que le pilote aux manettes est ivre mort et qu’il n’y a strictement personne pour piloter l’avion ». (p. 266) Trimballé comme un paquet encombrant dont on peut se débarrasser, même en se faisant tout petit, il gêne. Détenteur d’une vérité que son père refuse d’entendre, Bunny Junior sait, confusément mais implacablement, ce qui va advenir de son père. Petit devin solitaire, aux limites de la cécité physique, assailli de visions trompeuses de sa mère, c’est lui qui conduit son papa sur son dernier chemin. C’est le fils qui tue le père pour devenir un homme, pour devenir le nouveau Bunny Munro.
Les maladresses de narration, miroir grossissant du malaise grandissant de Bunny Munro, n’ont pas su m’émouvoir. J’ai fermé le livre agacée par les artifices utilisés par l’auteur pour décrire les délires, les mensonges, agacée par les descriptions avides et baveuses des corps féminins, agacée par les balbutiements orduriers du personnage. Le dernier chapitre est grotesque. L’auteur a voulu en faire un final sublime et flamboyant, je n’y ai vu qu’un défilé de monstres caricaturaux : la belle-mère antipathique, l’homosexuelle bagarreuse, les femmes au foyer délaissées, les lolitas inconscientes, etc.
Je ne garderai pas de cette lecture un souvenir pénétrant. Ma petite sœur, celle-là même qui m’a dit « Comment, tu ne connais pas Nick Cave? Mais il est génial !!! », a hâte de le lire. J’ai hâte d’entendre son avis enthousiaste…