Roman de Jonathan Coe.
À sa mort, Rosamund laisse une confession enregistrée. Ses propos s’appuient sur vingt photos méticuleusement choisies et décrites, adressés à la mystérieuse Imogen. Gill, la nièce de Rosamund, est chargée de la retrouver. Elle écoute l’enregistrement qui retrace par touches l’histoire de toute une vie, de plusieurs vies. Au fil des mots, elle découvre des secrets de famille, des erreurs et des abandons. À son oreille, la vérité d’une lignée de femmes incapables d’être des mères pour leur fille se fait entendre. Beatrix, cousine et sœur de cœur de Rosamund, Thea, la fille de Beatrix et enfin Imogen sont des femmes à qui Rosamund a tenté d’offrir un amour qui a toujours été accueilli avec indifférence, mépris ou calcul.
Chaque photo décrite est le prétexte à des descriptions plus larges de l’époque, de la situation familiale et à une plongée toujours plus précise dans des souvenirs qui appellent des anecdotes et des révélations. Le discours de Rosamund est si puissant qu’il replonge le lecteur – ou l’auditeur – dans des évènements historiques ou des atmosphères désuètes. L’évacuation des enfants anglais vers les campagnes pendant la seconde guerre mondiale est l’élément historique grâce auquel tout commence. Rosamund est envoyée chez son oncle et sa tante dans le Shropshire et c’est là qu’elle se lie si intimement et durablement à sa cousine Beatrix.
La chronologie en images se déplace en différents lieux, de la campagne anglaise au Saskatchewan en passant par l’Auvergne. C’est toute une famille, composée d’êtres récurrents et de personnes qui ne font que passer, qui se dévoile sous les mots de Rosamund. On découvre la vie amoureuse agitée de Beatrix, la vie amoureuse décalée de Rosamund, la vie amoureuse ratée de Thea.
Toute à sa confession, Rosamund n’en oublie pas d’être lucide. Comment parler d’images à une aveugle ? Comment lui faire entendre ce qu’elle ne peut voir ? Rosamund se méfie des photographies et de leur capacité de tromper ceux qui les regardent. « Comme c’est trompeur une photo. On dit que la mémoire nous joue des tours. Mais pas autant qu’une photo selon moi. » (p. 195) « Sur les photos, tout le monde sourit, c’est même pour ça qu’il ne faut jamais leur faire confiance. » (p. 211)
La confession de Rosamund est un soulagement et un devoir enfin accompli : « La seule chose qui m’importe à ce stade, c’est de faire mon devoir, de payer la dette, de te rendre ce qui t’est dû. » (p. 224) Qui est Imogen ? Pourquoi a-t-elle disparu de la famille ? Quel secret entoure sa cécité ? Autant de questions qui trouvent leur réponse à chaque photo. Les dernières révélations sont livrées à la toute fin du livre dans une lettre rédigée par un personnage auquel on ne s’attend absolument pas.
Le testament enregistré – parce que c’en est un – est aussi l’expression d’un cruel sentiment de solitude. Rosamund, entre Rebecca et Ruth, n’a pas été pleinement heureuse en amour. Il lui a manqué une famille et toutes ses tentatives pour en former une ont avorté. Proche des enfants de sa famille, nièces et neveux, Rosamund vieillit et meurt néanmoins dans une solitude assourdissante, au son des Chants d’auvergne de Canteloube.
La pluie avant qu’elle tombe, c’est un nuage noir prêt à éclater, un signe avant-coureur d’un désastre. La note introductive du livre dit que « le titre de ce roman est emprunté à une composition de Michael Gibbs. » (p. 9)
La facture de ce roman est originale et intelligente. Les propos de Rosamund sont exprimés à la première personne. La vieille femme se charge elle-même de sa confession. Ce qui reste du récit et qui n’est pas l’enregistrement de Rosamund est livré à la troisième personne par un narrateur neutre. La parole et l’oralité sont au centre de ce roman. Les phrases sont courtes et claires. L’épanorthose est largement présente dans les propos de Rosamund qui, au seuil de la mort, assume et revendique sa confession.
J’ai été très touchée par ce livre, par la mélopée de Rosamund et l’histoire bouleversante d’une famille comme les autres, ou presque.