Recueil de textes d’Albert Londres.
Albert Londres, journaliste au long cours mandaté par l’Excelsior, entreprend un voyage en Asie, notamment au Japon. Dans cet archipel si loin de Paris, le journaliste écrit ses réflexions, transcrit des entretiens avec des Japonais. Chaque texte révèle son étonnement, son admiration et sa curiosité devant les mystères de ce pays aux frontières du soleil levant. Albert Londres constate la rapide modernisation d’un peuple aux traditions séculaires faites d’honneur et de rites. « Qu’est donc ce peuple ? C’est un peuple heureux qui n’attend le bonheur de vivre d’aucun autre, car il le possède. » (p. 19)
Ce recueil se lit vite et chaque texte raconte une petite histoire. Le Japon est un pays aux multiples visages, toujours fier de ses traditions. L’européen qui passe sur son sol, pétri du sentiment de supériorité de sa civilisation, n’est qu’une brute qui ne comprend pas la grande finesse japonaise.
J’ai particulièrement aimé le texte qui traite des geishas, sujet exotique s’il en est et soumis à bien des sous-entendus grivois. « Le Japon n’est pas Montmartre. Et la geisha n’est qu’une geisha. […] Elle fait profondément partie du domaine national tout comme le cerisier, le samouraï et le hara-kiri. [..] C’est une danseuse d’attitudes, elle joue du samisen, mais cela n’est que son état. Et c’est par son rôle qu’elle existe et ce rôle est impondérable. […] La geisha est à un Japonais ce qu’un centre d’attraction est à un corps céleste. » (p. 49)
Le Japon, déjà en 1920, avait un ennemi plus ou moins déclaré en l’Amérique. Le commerce tissait des liens entre les deux pays mais une rancœur bouillonnait déjà. « L’Américain, voilà l’ennemi! Qu’a-t-il fait au Japonais ? Il s’est mêlé de ses affaires. Et à deux titres, une fois comme Américain, une autre comme protestant. » (p. 57) La super-puissance occidentale faisait déjà des siennes outre-Pacifique. Mais si le Japon s’arme, équipe ses ports de navire de guerre, ce n’est, aux dires du journaliste, qu’une précaution sous les sages hospices de l’antique Si vis pacem, para bellum.
Au Japon, quand Albert Londres y débarque, il y a Paul Claudel, « ambassadeur de France et bonze de la poésie à Tokyo » (p. 75) Si le Japon ignore ou méprise la France politique et historique, elle accueille à bras ouvert le représentant de ses Belles Lettres. « L’arrivée de Claudel à Tokyo est un coup sonore que la France a frappé sur le gong du Soleil levant. » (p. 77) Nouvelle preuve que l’art n’a pas de frontière.
Les textes d’Albert Londres composent ce que j’ose appeler un guide de voyage de la première heure. Lire les mots du journaliste nous plonge aussi sûrement dans la culture nippone que le dernier Routard. Certes, l’ethnocentrisme français du début du siècle dernier est à l’œuvre dans les réflexions de l’auteur, mais une grande ouverture d’esprit et une curiosité saine et trépignante lui font face.
Ce tout petit ouvrage est un beau livre, vif et drôle, un appel au voyage.