Roman de Kateb Yacine.
Quatrième de couverture : « D’un bout à l’autre du monde méditerranéen, un motif ornemental revient avec une puissance obsédante. C’est une sorte de rosace, ou plutôt un polygone pointant vers l’extérieur des angles offensifs. » Rencontrant Jacques Berque à Tunis en 1958, Kateb Yacine décidait que tout son travail procéderait (et avait, depuis l’origine, procédé) de la figure du « polygone étoilé ». Ce livre au carrefour du roman, de la poésie et du théâtre, à la frontière du récit et de l’oral, peut être considéré à juste titre comme fondateur de la littérature algérienne moderne. »
Les habitués de ce blog savent que citer la quatrième de couverture révèle mon incompréhension ou mon désappointement. Sans fioriture, je dis simplement que je suis passée à côté du livre. Sa forme est déconcertante : la poésie se mêle à la prose, le narratif alterne avec des dialogues théâtraux, les descriptions s’enchaînent avec les réflexions. Il me semble que le texte révèle toutes les voix de l’Algérie, qu’il s’efforce d’incarner chacune d’elle et de leur donner la parole. Voyageant entre proximité historique et temps immémoriaux, le récit semble se dérouler comme une tapisserie à trous, un long ruban qui ménage des analepses. Entre ballade populaire et poésie épique, Le polygone étoilé a des airs de cosmogonie algérienne, comme si le récit concentrait en une seule et même place tout ce qui fait le pays.
J’ai saisi des bribes du voyage de Lakhda et de quelques autres Algériens. Ils quittent l’Algérie clandestinement, rejoignent Marseille, puis essaiment en France en fonction du travail, jusqu’à Lyon, Grenoble, Paris. La colonisation, la décolonisation, le rêve de revenir au pays riche et reconnu sont des repères omniprésents. La pauvreté de l’émigré algérien ne fait aucun doute, mais s’entoure d’un fatalisme grinçant: « Ça fait rien / C’est un Algérien / qui travaille beaucoup / et qui mange rien […] Un Algérien / prolétarien / qui souffre et qui dit rien. » (p. 59 et 60) Les prénoms des protagonistes s’effacent peu à peu au profit d’identités qui portent une histoire. Ammar, Hassan et les autres disparaissent pour devenir Mauvais Temps, Pas de Chance, Visage d’hôpital, Face de Ramadan. Ces nouvelles désignations racontent chacune une portion de l’histoire des émigrés algériens.
Certains thèmes semblent être récurrents voire fondateurs. La femme apparaît tel un fanal, sa beauté est chantée et reconnue, presque crainte. Nedjma, personnage d’un précédent roman éponyme de l’auteur, apparaît à la fin du récit, mais floue, comme esquissée. « On connaissait Nedjma sans la connaître. » (p. 152) Cette impression est également celle du lecteur. Il est évident que Le polygone étoilé renvoie et rappelle les autres textes de l’auteur, mais subtilement, comme une grille de lecture à superposer à tous les récits.
L’instance narratrice est polymorphe. Tantôt distante voire absente, elle livre le récit de Lakhdar et de ses comparses. Elle disparaît dans les passages poétiques, à moins qu’elle soit son incarnation la plus pure. Un « je » apparaît parfois, flou et sans nom. Difficile de savoir qui tient le récit, qui le délivre et pourquoi. Mais il semble que ces questions ne sont pas fondamentales pour appréhender l’histoire.
Me voilà à la fin de la lecture d’une œuvre majeure de la littérature moderne et je suis dépitée de n’en tirer que du sens théorique, de ne reconnaître que des trames. Je suis déçue de ne pas avoir ressenti le texte. À se demander si les études littéraires n’empêchent pas parfois une approche libérée et purement sensible…