Roman de Christophe Donner.
Henri Norden, auteur et scénariste, est contacté pour écrire un scénario sur Louis XVII, le fils de Louis XVI et Marie-Antoinette, le fameux enfant du Temple. Il se lance à corps perdu dans l’histoire et les mystères qui entourent ce petit prince: l’enfant est-il mort au Temple? S’est-il échappé ? Et surtout qui est coupable de son meurtre ? « Louis XVII a toujours été considéré comme un dommage collatéral, et non comme un sommet de la Terreur. L’histoire officielle est passée à côté de Louis XVII. » (p. 20) Henri veut réhabiliter la mémoire de l’enfant du Temple et dénoncer les responsables de sa mort. Le premier coupable est Jacques René Hébert, un écrivain raté mais révolutionnaire enragé. Dans les pages du Père Duchesne, il se déchaîne contre la famille royale et n’a de cesse d’appeler au procès et à la mort des Capet. Ses complices sont des milliers, des millions: pour Henri Norden, le peuple français tout entier est coupable de la mort du petit roi. Le scénario glisse lentement vers la traque d’Hébert : Henri reconstitue le chemin qui a fait de cet enfant d’Alençon le meurtrier de l’enfant du Temple. Cette enquête met à jour un meurtre dont on connaît l’issue et le verdict mais dont on ignore les mécanismes.
Henri Norden est un personnage ambigu: notoirement bisexuel, il se lamente de la perte d’un amant. Dora Ishar, animatrice d’une émission littéraire à succès, lui semble la compagne idéale et il n’a de cesse de la conduire à l’autel après le premier rendez-vous. Henri Norden dissimule de la perversion et un goût prononcé pour la violence: collectionneur de représentations d’exécutions publiques au Tonkin, il se déclare en outre passionnément révolutionnaire et dégoûté par les mémoires oublieuses de l’histoire. « En France, le souci de préservation est en train de massacrer ce que la Révolution n’avait pas réussi à détruire. […] On préfère oublier. Restaurer. » (p. 61)
Ce roman réussit le tour de force de fondre des genres littéraires divers dans un creuset qui produit un texte polymorphe: la chronique des déboires d’un auteur ouvre la voie à l’essai historique, à l’enquête et au pamphlet anti-révolutionnaire. Si Henri Norden est clairement le personnage principal des premières pages, il s’efface derrière Louis XVII et Hébert. De ces derniers, difficile de définir lequel a la préséance puisque le second n’existe pas sans le premier. « Comment voulez-vous faire un film sur Louis XVII, sans faire un film sur son assassin ! » (p. 125)
Gros bémol sur la fin du texte: si la logique historique conduit à la reconnaissance du coeur de Louis XVII en 2004, la chute de l’histoire est déceptive : Henri Norden a-t-il achevé son scénario ? A-t-il réussi à l’imposer auprès de ses commanditaires ? Cette fin de roman me semble bâclée et c’est bien dommage.
Le roman de Christophe Donner porte un éclairage original sur la Révolution, ses conséquences et ses crimes. Louis XVII est présenté en victime expiatoire, éternellement molestée. » ‘Maman, est-ce qu’hier n’est pas encore fini ?’ C’est bien la question qui se pose à la Révolution : est-ce que hier va continuer encore longtemps ? L’enfant qui la pose est à jamais prisonnier d’hier, un roi sans lendemain. » (p. 285) Un moment de lecture plaisant qui devrait ravir les amateurs d’énigmes historiques.