Recueil de poèmes, collectif.
Sapphô, la dixième Muse selon Platon, chantait l’amour des femmes pour les femmes, implorant les déesses de protéger les élues de son cœur. Sa lyre n’était pas moins enchantée que celle d’Orphée.
Pernette du Guillet, muse de Maurice Scève, a laissé à la postérité des textes fins, drôles et passionnés. Gaspara Stampa voudrait « qu’Amour [la] mît à bonne école. » tandis que la Belle Cordière, Louise Labé, est lucide : « Ainsi Amour inconstamment me mène. »
Marceline Desbordes-Valmore énonce chante la destinée :« J’étais à toi peut-être avant de t’avoir vu » et Elizabeth Browning revendique une légitimité d’aimer : « Je t’aime librement, comme on tend au Droit. »
On découvre Emily Brontë poétesse. Ses vers ont la puissance que l’on savourait déjà dans Les Hauts de Hurle-Vent. « Il n’y a point de place pour la Mort / Ni d’atome qu’elle ait pouvoir d’anéantir, / Puisque tu es l’Être et le Souffle / Et que ce que tu es – est à jamais indestructible. » Emily Dickinson n’est pas moins sombre et souligne que « l’Âme est condamnée, / Escortée d’un seul chien / Son identité. »
Catherine Pozzi, amie-amante de Paul Valéry, nage en eaux troubles : « Je ne sais pas de qui je suis la proie. Je ne sais pas de qui je suis l’amour. » Marie Noël soumet sa création au doute : « les chansons que je fais, qu’est-ce qui les a faites ? «
Anna Akhmatova, en pleine tourmente soviétique, laisse à la postérité le soin d’achever ses écrits : « Cette page que je n’ai pas finie, / La main brune de la Muse, / Divinement calme et légère, / Y inscrira le dernier mot. » Marina Tsvétaiéva, autre poétesse russe dévoile de sombres penchants : « Trahir est mon affaire et Marina – mon nom, / Je suis fragile écume marine. »
Louise de Vimorin chante la mort à venir : « Mon cadavre est doux comme un gant / Doux comme un gant de peau glacée. » Sylvia Plath fait l’expérience du détachement : « Je flotte à nouveau à travers l’air, mon âme pour vêtement, / Aussi pure qu’un pain de glace. C’est un don. »
Finalement, Kiki Dimoula use des mots de la modernité pour chanter l’amour : « Pas de nouvelles de toi. / Ta photo, stationnaire. / Comme il pleut sans pleuvoir. »
On découvre ou redécouvre ici quinze femmes qui ont marqué la poésie. Vingt-sept siècles nous séparent de la plus lointaine, la plus récente nous parle encore. De Sapphô à Kiki Dimoula, de Lesbos à Athènes, la boucle ne se referme pas mais continue d’entraîner dans son tourbillon des femmes dont la plume n’a pas fini de nous marquer. L’éditeur le précise, ce n’est pas « une anthologie de la poésie féminine, dénomination que beaucoup de femmes-poètes récusent, mais une succession de textes […] » (p. 7), des textes qui ont marqué les âges, les hommes et les mémoires.
Chaque poétesse est présentée au travers des écrits, en vers ou en prose, que d’autres artistes, figures politiques ou historiques, ont écrit à son sujet. Les hommes ne sont pas les moins loquaces pour louer le talent et les œuvres des femmes-poètes. Ainsi Christian Bobin compare Emily Dickinson et Arthur Rimbaud : « Sous le soleil clouté d’Arabie et dans la chambre interdite d’Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté travaillent à se faire oublier. »
De quoi parlent-elles ces femmes à la plume agile ? D’amour, de jalousie, de désir, d’absence, d’attente, d’inspiration et de douleur. Comme les hommes en fait. Mais une autre question se pose. Si on fait classiquement de la femme la muse du poète, qui donc inspire et nourrit la création des femmes ? À cette interrogation, je me garderai bien de répondre et ne peut que vous conseiller de chercher la réponse dans les textes de ces poétesses.