Indignez-vous !

Manifeste de Stéphane Hessel.

Ne soyez pas surpris par la forme (ou le ton) de ce billet. C’est une nouvelle participation au concours La lettre à l’écrivain organisé par Babelio. Je choisis ici la catégorie Voltaire pour une lettre argumentée.


Monsieur Hessel,

Eu égard à votre grand âge, que vous brandissez fièrement dès la première ligne, je tenterai de modérer mes propos et d’user de non-violence – que vous prônez à juste titre – pour argumenter la stupeur que m’inspire votre texte. Réjouissez-vous, je m’indigne !

Vos 93 ans, outrageusement posés en pierre angulaire d’une démonstration biaisée avant même ses prémisses, ne sont à mes yeux qu’un argument factice destiné à vous attirer l’indulgence et la sympathie des lecteurs. En effet, comment s’élever contre les propos d’un homme qui a vécu la Résistance de l’intérieur, qui a connu les camps nazis et qui a participé à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ? Ne vous méprenez pas : je salue votre courage et votre engagement envers la France. Ni votre patriotisme ni votre humanité ne sont à démontrer. Toutefois, si l’on s’indigne à tout âge, arguer du vôtre pour lancer « cet appel à s’indigner » (p. 22) est une démarche pour le moins grossière, sinon vainement attendrissante. Mon grand-père n’a certes pas été chef de cabinet d’Henri Laugier, mais ses motifs d’indignation valaient les vôtres.

Afin de nous entendre sur ce que je réfute, permettez-moi de vous citer : « Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner, si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance. » (p. 9) Si la première partie emporte ma pleine adhésion, la dernière phrase m’indigne. Le programme social et économique du Conseil National de la Résistance, adopté en mars 1944, est un idéal perdu. « C’est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd’hui remis en cause. » (p. 11) Toutefois, pourquoi attendre 66 ans pour le déplorer ? Bien sûr, je ne doute pas que vous avez activement travaillé, sous les différents gouvernements qui vous ont employé, à honorer cette belle ligne. Mais comment osez-vous demander aux jeunes générations de s’indigner devant les espoirs déçus des anciennes ?

Vous semblez désespérer de l’engagement des Français d’aujourd’hui. Votre « appel à s’indigner » en est la preuve navrante. Croyez-vous vraiment que les forces vives du pays sont incapables de se révolter par elles-mêmes ? Fallait-il vraiment les prendre par la main pour les mener sur les voies du combat ? Certes, vous le dites en parlant de nous, jeunes générations, sur un ton qui fleure la condescendance paternaliste : « vous n’avez pas les mêmes raisons évidentes de vous engager. » (p. 12) Là encore, je ne peux que saluer votre courage : c’est grâce à vous et vos pairs que la France connaît une période de paix prolongée. C’est grâce à vous encore qu’aucun de mes frères et amis n’a été appelé sous les drapeaux pour combattre un ennemi odieux. Mais ne pas avoir connu la guerre ne fait pas de nous des incapables. Comptez-vous pour rien les milliers de lycéens, d’étudiants et de Français de tous horizons qui sont descendus dans les rues entre les 21 avril et 5 mai 2002 et ont protesté devant la menace antidémocratique ?

Ce que je retiendrai de votre manifeste, c’est une culpabilité certaine devant l’échec de certains projets et la défaite d’un espoir qui était si vaillant au sortir de la guerre. Mais l’indignation que vous prônez se teinte d’une sorte de colère de mauvais aloi. L’exaspération que vous condamnez n’est pas si loin dans vos propos. « Il ne faut pas ex-aspérer, il faudrait es-pérer. L’exaspération est un déni de l’espoir. » (p. 18) C’est avec agacement et exaspération que j’ai constaté que votre texte m’a presque fait douter de l’existence d’une conscience sociale et politique – et avant tout humaine ! – chez mes contemporains, mes conscrits et mes petits-frères. Mais finalement, je ne doute pas. Je sais que la relève est assurée et qu’elle aurait su s’indigner et agir sans votre manifeste.

En conclusion, je singerai Edmond Rostand. Est-ce un peu court vieil homme ? Dans les quelques quinze pages où vous prétendez faire lever le pain de la révolte pacifique, certaines sont de trop. Votre manifeste – ou est-ce un pamphlet ? – n’est qu’un avenant bien inutile à votre autobiographie. À présent, votre nouveau cri de ralliement est Engagez-vous ! Monsieur Hessel, je pense qu’il est temps pour vous de cesser de raviver le feu de vos anciens idéaux et de faire confiance à la jeune génération. Votre histoire et vos conseils seront toujours accueillis avec respect et intérêt. Néanmoins, cessez de lancer des appels qui ne visent que des murs déjà tombés.

Veuillez croire en mes meilleurs sentiments et en ma plus sincère indignation.

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