Biographie de Claude Mazauric.
La collection À 20 ans s’intéresse aux monstres de la littérature et « à l’aventure de leur jeunesse » : « Pour qu’ils deviennent des classiques, il fallait d’abord qu’ils soient des originaux. » En juillet commenceront les festivités du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. C’était une belle occasion de revenir sur les jeunes années de l’auteur des Confessions ou de La nouvelle Héloïse.
Avant de devenir un grand homme de Lettres admiré ou haï, en tout cas reconnu, Jean-Jacques Rousseau a mis 30 ans à trouver la voie qui lui permettrait de s’exprimer. Son enfance, son adolescence et ses jeunes années d’homme, pour pénibles qu’elles ont été, ont fait naître Rousseau là où il n’y avait que Jean-Jacques. « Le moment de ses 20 et 30 ans fut celui d’une errance, un temps de tristesse d’incertitude et de confusion, mais aussi d’expériences, de découvertes, d’assimilations de savoirs immenses, de grandes joies. » (p. 9)
De Genève à Paris, en passant par Chambéry, Lyon ou Annecy, le jeune Jean-Jacques a suivi des éducations morcelées auprès de maîtres inconstants ou fantasques. Entre protestantisme et catholicisme, sa foi d’apostat est souvent vacillante. Son amour des femmes et sa sensualité sont aussi précoces que son dégoût des sociétés perverties. La nostalgie des jeunes années traverse son œuvre, « le rappel de l’innocence enfantine qui se meut dans le rêve lui parut peut-être incarner le plus grand bonheur. » (p. 23)
On a déjà tout écrit sur sa relation avec Françoise-Louise de Warrens, qu’il appelait « Maman » et qui lui donnait du « Petit ». Cette femme, protectrice, initiatrice et amie, domine tout l’imaginaire que Rousseau développe sur les femmes. « Constamment amoureux, maladroit dans ses approches, incertain de son désir, Jean-Jacques Rousseau, dès sa jeunesse, se fait une si haute idée des femmes qu’il voudra toujours les placer hors du monde social où la brutalité des mâles, la trivialité masculine, les conflits de pouvoirs pourraient pervertir leur nature originelle. » (p. 51 & 52)
Les nombreux voyages à pied qu’il a effectués lui ont donné le goût de la solitude, du rêve et de l’observation. Quand il se fixe temporairement dans le domaine des Charmettes, auprès de Mme de Warrens, il se montre enragé d’apprentissage et féru d’étude. « Sa volonté de ne rien ignorer des savoirs de son temps » (p. 97) lui faire lire les philosophes, les politiciens, les physiciens, les mathématiciens, les astronomes, les historiens, les docteurs en médecine et bien d’autres. Seul, étant son propre maître d’étude, il se forge une culture encyclopédique avant la lettre. « C’est aux Charmettes, en effet, que s’est formée la grande synthèse intellectuelle, faite de savoir, de lecture, de découvertes et de réflexion, dans laquelle Jean-Jacques a par la suite puisé pour donner naissance à une œuvre proprement gigantesque. » (p. 95)
Mais voilà, Rousseau a trente ans et il n’a jamais exercé ses talents, ou alors piètrement. Ses aspirations musicales sont raillées par ses contemporains, notamment Jean Rameau. Médiocre précepteur, il écrit les premières lignes ses réflexions sur l’éducation et deviendra, avec Émile ou de l’éducation, l’un des plus grands théoriciens de la pédagogie. Il veut « compenser par l’écriture distanciée et critique, c’est-à-dire théorique, l’échec de ses entreprises pratiques. » (p. 106)
Quand enfin, à 32 ans, Jean-Jacques Rousseau comprend que sa voie est d’écrire, il ne s’arrêtera plus et il produira les chefs-d’œuvre qu’on lui connaît. Théoricien, philosophe et auteur de génie, il n’est pas un encyclopédiste de plus parmi les Diderot, D’Alembert ou Voltaire. La sensibilité de Rousseau lui est une qualité incontestablement précieuse dans un siècle de Lumières où de nouveaux dogmes étouffants tentent de rendre heureux le peuple sans lui demander son avis.
Cette biographie partielle de Jean-Jacques Rousseau est très bien écrite. Loin d’être une somme historique ou un fastidieux recueil d’extraits des œuvres de l’auteur, elle propose une véritable argumentation. La plume de Claude Mazauric déconstruit le mythe et façonne l’homme en se fondant sur son histoire. On est loin d’un texte beuvien, mais on sent toute l’importance que prirent les expériences du jeune Jean-Jacques dans les textes du grand Rousseau. Le livre est court et se lit aisément. Ne cherchez pas l’auteur et le philosophe dans ces pages, ils n’y sont qu’en germe. À l’issue d’une telle lecture, il faut reprendre nos classiques. La nouvelle Héloïse pourrait être le premier d’entre eux à repasser sous mes yeux.