Premier roman de Caroline Lunoir.
Mathilde, la narratrice, arrive dans la maison familiale en plein mois d’août. Les vacances auprès des grands-parents et des autres aïeux sont l’occasion d’évènements éculés que chacun prétend rendre inédits. Une piscine, récent fleuron du domaine, devient le centre d’un médiocre drame dont la conclusion tragique avorte sans panache. Dans la maison en indivision, les concessions et les chicanes sont le lot quotidien. Une question se pose alors : qu’est-ce qui fonde une famille ? « En dehors de ces quelques gouttes de sang que nous partageons et de cette maison, érigées en symboles et transmises à chacun comme partie de notre identité, rien ne nous réunirait. Éternel mais irrésistible contrat. La logique de lignée a ses limites. » (p. 28) Alors, « famille, je vous hais » ? Il n’est même pas question de cela. La vie au sein du domaine est nonchalance et passivité, comme la promenade commune qui a « l’ambigüité de la famille, elle est douce et lassante. » (p. 63)
Mais Mathilde ne fuit pas sa famille. Lucide et sans illusion, elle connaît l’histoire des siens, les lâchetés et les petits héroïsmes. Rien de comparable aux soubresauts des existences de ses aïeux n’a secoué ses jeunes années, mais Mathilde s’est construite, entre opposition et continuité, dans la froide sérénité d’une génération sans passion ni combat. Le séjour estival dans le domaine familial écrasé de soleil lui permet de se raccrocher à une généalogie solide, de s’inscrire dans une histoire tangible, d’être vivante quelque part. « Je reviendrai. Dans un mois ou dans un an, sans raison ou pour un mariage, suppliée par ma mère, contrite ou heureuse d’être là, pour une réunion de famille ou pour un enterrement. Je reviendrai vérifier qui ils sont. Je débarquerai pour soigner un malaise, une solitude, et en récolter d’autres. Je poserai mes valises, je ne reste pas longtemps, hein, juste quelques jours, pour les écouter, pour les regarder vivre. Et je prendrai mon train, attendrie, agacée ou sombre. Un jour, mon dernier jour ici, je serai confusément atterrée de n’avoir pas su retenir des bribes de leurs vies pour ne pas qu’elles passent, sans bruit. Cette maison deviendra mon paradis perdu, un peu nauséeux, celui que je tresse déjà. Beau, fantasmé et triste. Comme pour tous les vieux cons. » (p. 94) Un sursaut, plein de malaise, la tire de l’indolence dans laquelle elle s’englue. Le retour à Paris est une perspective sombre, mais qui la rend à elle-même, qui la redessine en dehors de la famille. Attraction/répulsion, à l’infini.
Mais alors, quelle est-elle cette faute de goût ? Est-ce d’avoir oser penser que les domestiques pouvaient jouir du même plaisir que les maîtres ? Est-ce d’être parisienne et indépendante dans un clan qui cultive l’esprit de famille ? On ne sait pas vraiment. Ce récit à la première personne est porté par une voix désabusée. On voudrait entendre celle de l’auteure, mais ce n’est pas ce qui compte. La mélancolie ensoleillée qui sous-tend les pages est gênante parce qu’elle renvoie à des horizons connus. Les relations familiales ne se ressemblent pas, mais les mêmes passions tièdes sont à l’œuvre partout. Les grands emportements et les portes qui claquent, c’est finalement assez rare, surtout dans le monde bourgeois dépeint par la narratrice. En cas de conflit, le mieux à faire, c’est de prendre la porte en ménageant l’élégance et les apparences. Et c’est exactement ce qui se passe à la lecture. J’ai refermé le livre comme je quitterais une pièce sur la pointe des pieds, après avoir surpris une scène trop intime. Et surtout, j’ai refermé le livre en me disant que mes tristes guéguerres familiales me suffisent et que celles des autres ne sont en rien plus tragiques. Finalement, la faute de goût, c’est peut-être d’avoir étalé sur quelques 110 pages le morne 15 août d’une famille banale.