Pourquoi ce livre ? Mayotte : ses deux îles, son lagon, ses noix de coco, ses makis, son rhum ! Sans commentaire…
Paul Kemp, journaliste sans attache, quitte New York pour Porto Rico. Il intègre le San Juan Daily News et fait vite corps avec l’équipe d’alcooliques qui remplissent les pauvres colonnes d’un journal en décrépitude. « Le journal faisait office de chambre de compensation pour le moindre écrivain, photographe ou intrigant à ambition littéraire et qui échouait à Porto Rico. » (p. 17) Le San Juan Daily News regroupe ce que Kemp appelle des journalistes vagabonds, groupe auquel il ne tarde pas à s’identifier, noyant le besoin de partir et l’impossibilité d’aller nulle part dans des doses massives de rhum bon marché. « Comme presque tous mes semblables, j’étais un fouineur, un éternel insatisfait, et parfois un fauteur de troubles inconscient. Je ne m’arrêtais pas assez longtemps pour avoir le temps d’y réfléchir, mais mon instinct me semblait juste. Je partageais l’optimisme fantasque qui nous faisait croire que certains d’entre nous allaient de l’avant, que nous avions choisi la bonne voie et que les meilleurs finiraient inévitablement par percer. Mais comme tant d’autres, j’avais aussi le sombre pressentiment que la vie que nous menions était une cause perdue, que nous étions des acteurs qui nous abusions nous-mêmes tout au long d’une absurde odyssée. Et c’était la tension entre ces deux extrêmes, idéalisme tapageur d’une part, hantise de l’échec imminent de l’autre, qui continuait à me pousser en avant. » (p. 19)
À mesure que les semaines passent, la bienheureuse hébétude se change en prise de conscience. « On ne pouvait pas vivre indéfiniment en ne comptant que sur ses couilles et en jouant au plus malin. Moi, je fonctionnais comme cela depuis dix ans et j’avais maintenant la nette impression que mes réserves s’épuisaient. » (p. 82 & 83) Mais rien de tragique ou de douloureux. La désillusion est désabusée. Paul Kemp se regarde partir à vau-l’eau. Un vain et éphémère sursaut d’énergie trompe les apparences, mais le naturel revient au galop. Kemp reste un incapable.
Dans ce récit à la première personne, le lecteur fait l’expérience d’une subjectivité poussée à son paroxysme. Tout tourne autour du nombril alcoolisé de Paul Kemp. Le titre original, The Rum Diary, rend d’ailleurs bien mieux l’idée d’une lecture impudique et d’un récit sans pudeur. Le regard résigné qu’il porte a posteriori sur cette période de sa vie est noyé dans de vieilles vapeurs éthyliques. « Puis midi arrivait et le matin miroitait comme un rêve déçu. La sueur devenait une torture et le reste de la journée était jonchée des cadavres de toutes les belles occasions qui auraient pu se présenter mais qui n’avaient pas réussi à survivre à la fournaise. En continuant à monter, le soleil carbonisait les dernières illusions et me donnaient à voir tout ce qui m’entourait sous son vrai jour, étriqué, maussade, vulgaire et je me disais que non, rien de bon pourrait m’arriver ici. » (p. 310 & 311) À l’en croire, il y aura toujours du rhum ou un autre alcool pour étancher sa soif de disparaître et hâter le passage du temps.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le journalisme, les relations entre l’équipe de presse, l’infâme relation amoureuse avec Chenault, etc. Mais j’ai préféré me contenter de présenter le personnage principal, autocentré au possible. Je vous laisse le plaisir de découvrir ce roman malsain, bouffon et désenchanté. Il me reste à voir le film éponyme de Bruce Robinson, avec Johnny Depp (sur les écrans fin 2011), et à lire Las Vegas Parano, du même auteur.