Roman de Yann Kervran. Premier tome du Cycle d’Ernaut de Jérusalem.
Dans un monastère auvergnat, en 1223, un vieil homme entreprend de narrer les aventures d’Ernaut de Jérusalem. Le jeune Déodat, chargé de la transcription, découvre un récit palpitant.
Dans le port de Gênes, en 1156, c’est l’effervescence à bord du Falconus. La nef embarque pour Gibelet, avec à son bord nombre de pèlerins en route vers la Terre sainte et Jérusalem. Parmi eux se trouvent Ernaut et Lambert de Vézelay, deux fils de marchand, qui comptent s’établir comme colons après leur pèlerinage. Le jeune marchand génois Ansaldi Embriaco embarque avec son valet Ugolino et garde jalousement sa cabine. Messire Régnier d’Eaucourt, attaché à la cour du roi Baudoin de Jérusalem, prend place avec son serviteur Ganelon. Herbelot Gonteux, jeune clerc, nouvellement rattaché à la chancellerie de l’archevêque de Tyr, est soucieux de sa charge jusqu’à la morgue. Et lors d’une escale à Ostie, Maître Mauro Spinola, diplomate renommé, monte à bord. L’équipage est composé d’individus hauts en couleurs : le charpentier du bord Fulco est un homme vaillant, le matelot Octobono est porté sur la cruche de vin et l’arbalestrier Enrico Maza est prompt à la bagarre. Le Falconus, sous le commandement de Malfigliastro, fait escale à Naples, Messine, Otrante et Rhodes avant d’entamer une traversée de plusieurs semaines parfois périlleuse jusqu’à Gibelet.
À bord, si des négociations en tout genre – commerciales ou stratégiques – vont bon train, on parle aussi beaucoup des meurtres qui ont ensanglanté Gênes. De riches commerçants, connus pour leur implication dans la guerre d’Espagne, ont été poignardés. Il semble que l’assassin ait embarqué sur la nef quand, à Otrante, un marin est attaqué. Mais le doute n’est plus de mise quand Ansaldi Embriaco est retrouvé mort dans sa cabine. Ce meurtre est entouré de mystères : le cadavre a été trouvé dans une position étrange dans sa cabine verrouillée de l’intérieur et son coffre a été vidé. Le meurtrier est-il un simple voleur clandestin ? Est-ce le même homme qui a sévi à Gênes ? Et quels sont ses motifs ? Le souvenir de l’honnête et pieux se voilent et des rumeurs de contrebande et de culpabilité courent sur son compte. Quand le cadavre du charpentier du bord est jeté par-dessus bord, lardé de coups de poignard, l’énigme s’épaissit. Malfigliastro charge Régnier, Herbelot et Ernaut de mener l’enquête et de débusquer le coupable.
Ce huis-clos marin est très bien ficelé. « Meurtrir quelqu’un à bord d’un navire est fort risqué, car on est captif avec sa victime, les témoins et les poursuivants. » Dans cette souricière flottante, il n’est pas aisé de mener l’enquête. D’aucuns se dérobent, d’autres dissimulent des ambitions coupables. Le trio formé par le noble, le clerc et le jeune marchand fonctionne à merveille. La finesse de l’un est compensée par la sagesse de l’autre et par le bon sens du dernier.
L’auteur s’y entend pour décrire la vie à bord : l’ordinaire peu engageant, la monotonie des journées, la camaraderie entre membres de l’équipage, les risques des tempêtes et les recoins de la nef sont rendus avec précision et humour.
Ernaut est un personnage attachant : gigantesque masse humaine, sa maladresse et sa bêtise n’ont d’égales que son bon cœur et sa propension à rendre service. Il n’est pas taillé pour être colon. Sa vigueur et son tempérament le portent davantage aux métiers d’armes. Mais il semble que cet aspect de sa personnalité sera développé dans le second tome.
La langue de l’auteur est désuète à souhait et fait de chaque dialogue un morceau savoureux nourri d’expressions fleuries et de tournures chantantes. Les descriptions sont précises et menées dans un lexique maîtrisé et pertinent. Le récit se déploie dans des épisodes concis qui contribuent à forger le rythme palpitant de l’intrigue policière. Le pied à peine posé sur le pont du Falconus, on ne s’ennuie pas un instant. Et quelle tristesse de quitter le navire à la fin de ce premier tome ! On voudrait déjà repartir à l’aventure avec Ernaut, Herbelot et Régnier.