Borgia

Édition de luxe de l’intégrale des bandes dessinées d’Alejandro Jodorowsky et Milo Manara.

Le cardinal Rodrigo Borgia, catalan d’origine, intrigue pour devenir le nouveau pape. Usant de tous les stratagèmes et de toutes les pressions pour arriver à ses fins, il ne vit dans le but d’assouvir sa soif de pouvoir. Ses enfants, des bâtards, lui servent de marchepied, de monnaie d’échange et de bras armés. « Enfants, je ne veux plus vous entendre ! Mes ordres ne se discutent pas ! » (p. 33) Disposant d’eux comme de marchandises, Rodrigo prévoit pour chacun un destin fabuleux à la gloire des Borgia. Son objectif ultime ? Établir pour des siècles une dynastie Borgia qui règnerait sur le monde. Pour cela, il lui faut une famille unie au-delà de toute limite et de toute morale. « Tout le monde peut arriver à vaincre un Borgia. Personne ne peut en vaincre cinq. » (p. 86)

« Si l’être mystérieux que nous appelons Dieu n’y met pas d’obstacle, je deviendrai pape. » (p. 33) Quand le pape Innocent VIII – innocent que de nom – rend l’âme, Rodrigo Borgia corrompt et achète les membres du conclave et devient pape sous le nom d’Alexandre VI, s’aliénant pour toujours le cardinal Della Rovere qui n’aura désormais d’autre but que de le déposer et de prendre sa place sur le trône de Saint-Pierre. Être vicaire du Seigneur sur terre n’est pas de tout repos. Le pape Borgia doit lutter contre les querelles intestines de sa famille, déjouer les tentatives de meurtre sur sa personne et repousser les armées françaises de Charles VIII qui veulent investir les états papaux et prendre Rome. Redoutable homme politique, capable de sonder les âmes et ne reculant devant aucuns sévices, Rodrigo Borgia est un pape assis sur un siège dégoulinant de sang. « Moi, Alexandre VI, chef suprême de l’Église, je suis votre meilleur ami, mais je peux aussi être un ennemi implacable… Qui bene amat, bene castigat… » (p. 71)

Commettant quotidiennement et dans une extase éhontée les sept péchés capitaux, les Borgia vivent de luxure et de débauche. Excessifs dans leurs plaisirs, dans leurs colères et dans leur conduite, la belle Lucrèce, le beau César et le délicat Giovanni sont des enfants créés à l’image du Père, mais quel père est-ce là ! De pape, Alexandre VI n’a que le nom et certainement pas la foi. Faisant commerce des indulgences, il vend le pardon divin comme un kilo de viande faisandée. « Me tromperais-je si je considérais l’Église comme une grande putain ? » (p. 83)

Alors que l’Italie est divisée en une multitude de royaumes tous plus dépravés les uns que les autres – Florence, Naples, Venise, Milan, etc. – le pape Borgia porte les intrigues politiques à un niveau jamais atteint dans le but de se créer un royaume à la mesure de son ambition démente. Si la peste ravage sans cesse les rues de Rome, les Borgia sont un nouveau fléau. Première mafia de l’histoire, agissant sans honte et sans morale, ils sont une famille infernale dont les agissements n’en finissent pas d’être habilement démoniaques. Ce n’est pas pour rien que l’on soupçonne Machiavel d’avoir pris César Borgia pour modèle de son essai politique, Le Prince.

Cette superbe bande dessinée rassemble tous les fantasmes qui entourent la famille Borgia : inceste, viol, pédérastie, mensonge et bien autres ignominies, tout y passe. La beauté blonde de Lucrèce dissimule un cœur pourri qui ne se livre jamais, même à ceux qui prennent possession de ses blanches cuisses. L’orgueilleux César est un mâle parfait, à la fois brutal et conquérant : peu fait pour la pourpre de cardinal que lui a imposée son père, il ne rêve que de batailles et d’épée tirée hors du fourreau. La religion n’a que très peu à voir avec les agissements des Borgia : prendre la tête de l’Église catholique, c’est dominer le monde puisque le pape est au-dessus des rois. Pouvoir suprême et sans égal, la papauté est exercée d’une main cruelle et sans pitié par Rodrigo Borgia.

Design sans titre – 1

Cet ouvrage numéroté qui rassemble les quatre bandes dessinées initiales est une merveille d’édition. La tranche est dorée, ainsi que les lettres de couverture. Le papier est lourd et renvoie l’image avec éclat. Si Jodorowsky s’y entend pour mener une intrigue tambour battant, Manara n’est pas en reste : il a un talent certain pour les expressions faciales et les corps en général, surtout ceux des jeunes gens. Il a la beauté et le désir au bout du pinceau. Également très habile pour représenter des scènes de foule ou des ouvrages architecturaux, il possède un trait assuré et aisément reconnaissable.

Cette lecture complète à merveille ma découverte de la famille Borgia. La série diffusée par Showtime (2011), avec Jeremy Irons dans le rôle titre, propose une famille unie et aux comportements relativement modérés. Pas de scène orgiaque ou de débauche insane, le tout a un côté très propret et suggère sans prendre le risque d’affirmer.

La série de Tom Fontana (2011), avec John Doman (tout simplement excellent !) dans le rôle titre, est plus radicale et moins policée : les Borgia sont ici des êtres soumis à leurs passions et à leurs vices. On est loin de l’élégance toute britannique de Jeremy Irons et on plonge les deux pieds dans la crasse et dans le stupre. Moins « carton pâte » que la précédente, cette série m’a aussi semblée plus authentique et plus proche de la véritable histoire des Borgia. Enfin, les bandes dessinées (2004 à 2010) de Jorodowsky et Manara couronnent le tout en proposant une version franchement débauchée et crue de l’histoire de cette famille. Bref, un vrai régal que de découvrir les Borgia. Ma lecture de Lucrèce Borgia de Victor Hugo remonte à longtemps et il ne me semble pas qu’il donne un visage si débauché de la fille du pape le plus corrompu de l’histoire. Bref, encore de belles découvertes à venir !

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