Roman de Thierry Maugenest. Parution ce jour.
Le professeur Carrington, éminent chercheur pharmaceutique du laboratoire Lanxis, a découvert l’aire de Dieu dans le cortex. À coups de stimulations neuronales et d’inhibiteurs chimiques, il peut désormais faire naître ou s’éteindre la foi dans le cerveau de ses cobayes. Mais le génie nobélisable est bien décidé à explorer d’autres domaines. Il s’attaque à la bêtise : « Le con, ce n’est pas celui qui se trompe, mais celui qui, en se trompant, est absolument convaincu d’avoir raison. » (p. 31) Carrington entreprend donc de réduire la bêtise en intervenant sur les zones du cortex qui en sont responsables.
Mais très vite, un autre projet accapare son attention : il s’intéresse aux mécanismes cérébraux de la sexualité et envisage de déprogrammer la zone de l’amour pour libérer et soigner les hommes. Voilà le fin mot de toutes ses recherches : tous les comportements irrationnels de l’homme sont des maladies et Carrington est bien décidé à les éradiquer, n’en déplaise au reste du monde. « – Quelle ordure, ce type ! Un cerveau et un sexe, voilà à quoi il se résume… et puis il voit des maladies partout. – Il considérait déjà les religions comme une épidémie mentale… – Et voilà qu’il range l’amour dans les troubles obsessionnels compulsifs. » (p. 87)
Carrington se fait de nombreux ennemis parmi les religieux, les athées et le monde scientifique. Il s’attire également les foudres de ses anciens cobayes dont le comportement a été modifié. Que dire de ce moine devenu acteur de films X ou de cet homme qui ne s’exprime plus qu’en octosyllabes ? La menace s’amplifie : il est évident que Carrington court un danger et qu’on cherche ou cherchera à l’éliminer.
Mais ce n’est pas ce qui tourmente tant le professeur. Carrington enrage que sa belle assistante, Ayumi, repousse ses avances. « Le problème avec Carrington, c’est qu’il n’a pas un seul brin d’ADN qui contienne du charme. C’est une exception génétique ce type… Et puis… il traîne derrière lui une sacrée réputation de mauvais coup. » (p. 12) Ayumi mène pourtant un trouble jeu, séduisant à l’envi les hommes du laboratoire Lanxis, usant de ses charmes et semant des haïkus érotiques qui s’échangent à prix d’or. « Elle voudrait à la fois être admirée par ses compétences et désirée pour son physique. » (p. 46) Est-elle trop belle pour être vraiment intelligente ? Mieux vaut ne pas parier là-dessus.
Le roman est constitué de pseudo articles de journaux, reportages et autres interviews qui répondent à de très courts paragraphes où les discussions vont bon train. Fondé sur le dialogue et les échanges de couloir, ce roman ne donne jamais la parole au professeur Carrington. La mise en page est soignée et parfaitement convaincante. On a vraiment le sentiment de suivre les avancées technologiques et les remous sociaux des dernières découvertes médicales. La conclusion est un délicieux clin d’œil adressé au lecteur qui parcourt le livre : « Et si c’était l’écrivain qui rêvait d’entrer dans le cerveau de ses lecteurs, et toi, lorsque tu lis son roman, tu prononces dans l’intimité de ton cortex chacun des mots qu’il a écrits. » (p. 127) Attention aux nœuds dans la tête !
Thierry Maugesnest interroge avec cynisme et insolence les liens entre progrès et éthique. Il dénonce férocement les dérives d’une société qui se fonderait sur la science et qui tendrait à harmoniser les êtres et les comportements. Eroticortex n’est pas vraiment un ouvrage de science-fiction, mais on y retrouve les frissons que cause la rencontre avec un professeur Frankenstein, à cela près que celui de Thierry Maugenest n’utilise pas la machine à vapeur !
Bien que j’ai trouvé ce roman un peu court et même si la pertinence percutante des dialogues devant la machine à café ou dans les toilettes s’essouffle un peu, humour noir et bon sens font de ce roman une réussite aux airs faussement angéliques de mise en garde. Vous avez peur des piqûres ? Craignez plutôt le scanner !