Barricadé dans sa maison, Robert Neville repousse nuit après nuit les assauts de monstres qui veulent le vider de son sang. « La nuit, ils étaient les plus forts. La nuit leur appartenait. » (p. 21) Mais le jour, Neville les traque et les extermine. Il organise sa survie et ne cesse d’espérer qu’il n’est pas le dernier homme sur terre. « Il y avait l’infime probabilité que des gens pareils à lui subsistent quelque part, tentant eux aussi de survivre, avec l’espoir de se retrouver un jour parmi ceux de son espèce. » (p. 34) L’humanité tout entière semble pourtant s’être éteinte après qu’un terrible virus se soit répandu sur terre. Immunisé contre la maladie, Neville a vu mourir les siens et se transformer en ces horribles vampires qui assiègent sa maison.
Alors, Robert Neville survit, il lutte. « À quoi bon lutter ? Ils étaient trop forts, les infâmes salauds. » (p. 41) Pourquoi lutter ? Est-ce parce qu’il incarne la vie véritable ? Mais qu’en est-il de cette vie dont il est le dernier représentant ? Malgré les foules hurlantes qui se pressent à sa porte toutes les nuits, Neville vit dans une douloureuse solitude où tous les sentiments s’exacerbent, entre découragement, folie et désir physique presque incontrôlable.
« Dans un monde où l’horreur constituait la norme, nul salut ne pouvait venir des rêves. Il avait pris son parti de l’horreur, mais sa banalité lui paraissait un obstacle infranchissable. » (p. 146) Les faits, seuls les faits le sauveront de la folie. Robert Neville décide de lutter contre les monstres, de comprendre la maladie qui les frappe et de trouver le remède. Il étudie leur sang et l’action des répulsifs, mais « comment un miroir aurait-il agi sur un bacille ? » (p. 120) Pourquoi les croix, le soleil, l’ail et les pieux tuent-ils les vampires ? Comment se transmet le bacille responsable de la maladie alors qu’il y a eu si peu de morsures ? Autant de questions qui forcent Neville à adopter une rigueur scientifique qui, pendant un temps, lui donne l’illusion qu’il réalise quelque chose d’utile. Puis, à mesure que ses recherches progressent, il fait une terrible découverte. Soudain, les monstres ne sont plus coupables, mais victimes, et leur comportement est légitime. « C’est la majorité qui définit la norme, non les individus isolés. » (p. 228) Et donc, si c’était lui, Robert Neville, le monstre et la terrifiante légende ?
Ce roman installe dès les premières pages une atmosphère oppressante : on entend courir les vampires sur le toit, on sent leur odeur nauséabonde. Comme Neville, on est pris de fous rires désespérés et inquiétants et on a soudain l’envie de hurler dans le silence. Le découragement s’en mêle quand la certitude d’être le dernier homme prend toute la place. Puis, viennent la fin et le retournement de morale. Robert Matheson revisite complètement le mythe de Dracula et invite le lecteur à se placer du côté d’un monstre qui s’ignore. Quel choc avec la prise de conscience ! Tout le roman est à relire ! L’apparence de normalité que Neville tentait de maintenir prend les couleurs de l’horreur et de la déviance. L’auteur nous invite à nous départir de notre jugement anthropocentrique et l’expérience est des plus troublantes.
L’adaptation cinématographique, avec Will Smith dans le rôle principal, est bien loin des subtilités du roman : ce n’est que le combat sanglant de l’homme (le gentil) contre les vampires (les méchants). Fi de la réflexion humaniste (vampiriste ?), la fin est hollywoodiennement positive, en faveur des hommes, alors que le roman de Matheson est bien plus ambivalent et réussi.