Bande dessinée de Frédéric Bertocchini, dessins de Puech.
C’est le printemps et Guy de Maupassant flâne en Normandie en réfléchissant à son prochain roman. Mais il se met à avoir des insomnies et de la fièvre : le sommeil et l’appétit le fuient. Devant ce mal étrange, l’auteur cherche à se distraire par des séjours à Paris ou de longues promenades avec son ami Gustave. Hélas, rien n’y fait : quelque chose persiste à se glisser dans ses nuits et à vider sa carafe d’eau. Maupassant essaie de se libérer de ses terreurs, mais on dit dans la région qu’un démon serait de retour et qu’il rôderait. Si ce n’est lui, qui donc passe dans le miroir de l’auteur et occulte son reflet ? Qui pèse sur ses nuits et infiltre ses cauchemars ? Maupassant n’en peut plus, il veut se libérer de cette funeste emprise : « Ce n’est pas pour me protéger que je vous ai appelé, mais pour constituer une cage, une sorte de prison… C’est que j’envisage de séquestrer quelqu’un. » (p. 42) Pour en finir, il en vient à la plus terrible des extrémités.
La seconde moitié du XIXe siècle a été le théâtre de prodigieuses avancées scientifiques, notamment dans le domaine de la psychiatrie. Mais cette époque était bien loin d’avoir fait le tour du pouvoir et des mystères de l’inconscient ou d’avoir mis des mots rationnels sur les phénomènes surnaturels. « Vous savez à présent que de puissantes forces occultes habitent l’invisible et se manifestent parfois à nous, sous certaines conditions. Nous baignons dedans constamment, même si nous ne les percevons pas… mais l’obscur est bien là, entre deux rayons de lumière. » (p. 29) Alors, que faut-il comprendre des troubles que rencontre Guy de Maupassant : est-ce la folie ou la rencontre avec le surnaturel ?
Cette bande dessinée propose une lecture très intéressante de la célèbre nouvelle de Guy de Maupassant. Dans le texte original, le narrateur n’est pas l’auteur, même si la nouvelle renvoie au problème d’altérité subi par Maupassant. Frédéric Bertocchini a pris le parti de faire de Guy de Maupassant le personnage de sa propre nouvelle, effaçant ainsi les frontières entre narrateur et auteur. La bande dessinée se propose alors de dresser un portrait inédit du nouvelliste et d’écrire une biographie originale parfaitement sous-tendue par une création littéraire.
Puech dessine avec un grand talent la différence entre la vie paisible et les épisodes psychotiques qui causent la terreur du personnage. Si la couleur est lumineuse et dynamique dans le premier cas, elle devient lourde et épaisse dans le second, mais sans se départir d’un mouvement inquiétant : c’est celui d’une ombre qui ne cesse de se mouvoir dès que l’on a le dos tourné.
Je ne garde pas un souvenir très positif de la nouvelle de Guy de Maupassant, mais sans doute l’ai-je lu trop jeune. L’œuvre de Frédéric Bertocchini et de Puech a cela d’extraordinaire qu’elle tire un texte célèbre de l’univers des classiques pour en faire une quasi-nouveauté et un nouveau chef-d’œuvre. Et surtout, la bande dessinée donne furieusement envie de redécouvrir les nouvelles fantastiques de Maupassant. À la fois hommage au maître et dépassement, Le Horla, Maupassant est une belle réussite du neuvième art.
De Frédéric Bertocchini, je vous (re)-recommande l’excellent roman graphique Jim Morrison, poète du chaos.