Partir

Roman de Tahar Ben Jelloun.

Azel et Kenza, comme tant d’autres jeunes, ne rêvent que de quitter le Maroc, d’échapper à la pauvreté, à la cruauté et à la mafia locale. Le pays perd ses forces vives au profit d’une Espagne aux airs d’El Dorado. « Quitter le pays. C’était une obsession, une sorte de folie qui le travaillait jour et nuit. Comment s’en sortir, comment en finir avec l’humiliation ? Partir, quitter cette terre qui ne veut plus de ses enfants, tourner le dos à un pays si beau et revenir un jour, fier et peut-être riche, partir pour sauver sa peau, même en risquant de la perdre… » (p. 25) Nombreux sont ceux qui tentent de traverser le bras de mer entre l’Espagne et le Maroc. Au matin, on retrouve leurs corps gonflés sur les plages. Au Maroc, on dit que traverser la mer et partir, c’est « brûler ». Le départ, c’est un peu un suicide. Et pour ceux qui gagnent les côtes espagnoles, la solitude de l’immigré est une autre mort.

Pour Azel, le départ prend les traits de Miguel, un riche Espagnol homosexuel. Le jeune homme se soumet aux désirs de son protecteur et espère mener la vie dont il rêvait dans ce nouveau pays. Dès qu’il le peut, il écrit une lettre. Son destinataire n’est autre que son pays d’origine : au Maroc, il déclare son amour, il confie ses espoirs et adresse ses reproches. « Soigner les apparences et faire des cochonneries en douce, c’est ça le Maroc qui m’énerve. » (p. 97) Hélas, Azel laisse s’échapper ses rêves et se perd lui-même. Finalement, quitter le Maroc semble moins prometteur que d’affronter ses vicissitudes.

Il y a différentes façons de partir : certains échappent au pays, d’autres quittent une identité, d’autres encore courent après un rêve. Mais tous les immigrés le savent, le départ n’est jamais une fin en soi. « Nous partons, mais toujours pour revenir. » (p. 269) Ce roman polyphonique mêle des voix furtives et des voix récurrentes. Le Maroc parle au travers de ses enfants, il pleure leur départ et attend leur retour. Cette galerie de portraits parle d’Islam, de sexualité, de péché et surtout d’humanité. « Vous savez, il vaut mieux partir du principe que l’homme est bon, s’il se révèle mauvais, c’est lui qui se fait mal. C’est une question de sagesse. » (p. 273) Pas de manichéisme dans ce roman, ni de leçon de morale. C’est plutôt une troublante élégie et un puissant hommage à la jeunesse et à la terre natale.

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