En rangeant une armoire, Serge Delaive retrouve le carnet qui l’a accompagné lors de son séjour en Corée du Sud. Il était parti avec son épouse Sandra et leurs deux enfants à la rencontre de la famille biologique de Sandra, adoptée dans les années 1960. « À la fin des années 1960, les enfants coréens représentaient le meilleur rapport qualité-prix sur le marché, ils étaient vite “servis” et culturellement acceptables en Occident. Alors ils ont été livrés en masse. » (p. 42) Au gré des notes prises sur le carnet, on comprend que Serge et Sandra ont déjà séjourné deux fois en Corée du Sud pour retrouver la mère naturelle de Sandra.
« Occidental en goguette, naïf, qui note au vol ce qu’il saisit à l’avant-plan d’un tableau dont la perspective atteint une profondeur inouïe. Mais le flâneur au sens baudelairien reconnecte ses neurones. Se dégage de la boue encombrante. » (p. 62) Serge Delaive est un observateur modeste, mais alerte, qui sait garder sa place et qui sait que l’expérience de son épouse ne sera jamais la sienne. Il l’accompagne, il la regarde, mais cette histoire d’adoption et retour aux origines ne sera que celle de Sandra. Alors, pour Serge, le voyage est un dépaysement assumé, la quête d’un ailleurs différent des cartes postales. « Je cherche un exotisme différent, niché dans le quotidien, le détail saugrenu. » (p. 64)
On découvre la Corée du Sud, territoire coupé de son homologue du Nord. Le pays a été profondément marqué par l’occupation japonaise, mais il témoigne également d’un élan vers l’Occident. « Ceci marque la singularité de la culture coréenne : à la fois endogène, très particulière, construite au fil des siècles, mais aussi ouverte au monde, consciente de son étrangeté au sens premier du terme. » (p. 117) À lire Serge Delaive, j’ai eu l’impression d’un pays caméléon, à la fois attaché à son passé, mais aussi acteur de son futur. Également caméléon du fait de ses enfants adoptés qui reviennent – ou pas – et qui composent une population à cheval, entre deux terres.
Le carnet de voyage n’est pas que géographique, il est aussi intime. Il retrace un périple à rebours du temps, vers une autre culture et peut-être vers une autre identité – une identité augmentée – pour Sandra. La langue de Serge est libre, immédiate. On ressent vraiment la légèreté des réflexions jetées sur le carnet. Mais légèreté n’est pas pauvreté : l’évanescence des idées est celle des nuages qui s’accroche aux cimes, éternelle et éphémère. En marge du carnet, Serge Delaive livre des réflexions sur le voyage, son sens et la place du voyageur. « Le voyage en tant que radicalité contradictoire : à la fois en apnée dans le monde et aux marges d’un monde inaccessible. À l’extérieur complètement, en absence, mais en même temps, tellement là. L’expérience de la solitude entre douleur et extase. Quand ouverture rime avec barrières infranchissables. Alors nous sommes tels qu’en nous-mêmes, notre identité et notre étrangeté confondues. » (p. 126) Partir, mourir un peu ? Plutôt renaître, mais ailleurs.
Le texte s’agrémente de photographies en couleurs ou en noir et blanc. Il y a des petits clichés ou des images en pleines pages. Entre paysages, portraits, clichés insolites et instants pris sur le vif, la photographie remplace ce qui était autrefois l’aquarelle ou le fusain. L’équilibre est parfait, voire logique. Pour illustrer ce carnet de voyage moderne et décomplexé, la photographie est parfaitement légitime en ce qu’elle a d’instantané, mais aussi parce que, comme l’auteur, elle pose un regard neuf et sans cesse renouvelé sur les choses. Le Carnet de Corée de Serge Delaive se lit en douceur. Ne cherchez pas un guide de voyage ou une biographie, ce récit est atypique. Mais oublions les qualificatifs littéraires et disons ce qui est : Carnet de Corée est un beau texte qui m’a offert une escapade émouvante et dépaysante.