Rappelez-vous, à la fin de La nef des loups, Ernaut et son frère Lambert avaient débarqué en Terre Sainte et prenaient le chemin de Jérusalem. Nous les retrouvons quelque temps plus tard. Lambert est alité pour cause de mauvaises fièvres et Ernaut assiste seul aux processions, réjouissances et cérémonies de la semaine pascale de l’année 1157. Jérusalem est grosse de fidèles venus en pèlerinage pour célébrer la résurrection du Christ. Mais les festivités sont soudain entachées du meurtre de plusieurs pèlerins, dont plusieurs femmes. « Des bruits de fête parvenaient des environs, ainsi que quelques senteurs épicées, évadées d’une arrière-cuisine, une douce quiétude semblait régner. Cette supposée tranquillité allait-elle une nouvelle fois dissimuler un horrible meurtre ? » (p. 113) Ernaut est chargé de retrouver la famille des victimes, mais il semble que le meurtrier soit déjà sur leurs traces. « Il finissait par croire qu’il n’arriverait jamais à rejoindre la famille des victimes, qu’il serait perpétuellement en chasse de leurs traces. » (p. 137) Qui peut bien en vouloir à d’anonymes pèlerins ? Sont-ce les Sarrazins ou quelque obscur criminel au motif honteux ?
Dans le deuxième volume du cycle d’Ernaut de Jérusalem, on croise quelques personnages rencontrés à bord du Falconus (voir La nef des loups), mais on s’attache surtout aux pas d’Ernaut, colosse de chair et d’âme. Ce n’est plus le jeune insouciant un peu lourdaud du premier tome. Le jeune homme modère maintenant ses emportements et il n’a plus besoin de la surveillance de son ainé. Mais les terribles évènements qui secouent la semaine sainte lui révèlent une part sombre qu’il ne se connaissait pas. Sa force est plus grande qu’il ne croyait et elle pourrait être effrayante. Ernaut envisage l’avenir différemment : est-il vraiment fait pour être un colon ? Un autre développement intéressant est celui de son attirance pour la jolie Libourc : un Ernaut amoureux, cela augure une intrigue intéressante pour le prochain volume.
Chaque chapitre s’ouvre sur quelques paragraphes en italique qui présentent Ernaut et ses réflexions après la conclusion de l’affaire. Ainsi, le lecteur perçoit que quelque chose a mal tourné dans la mission du jeune homme et que ce dernier est bourrelé de remords. Reste à savoir ce qui s’est passé. Et c’est tout le talent de Yann Kervran de susciter une vive curiosité sans rendre le lecteur impatient. L’auteur s’y entend pour créer une atmosphère et pour entraîner le lecteur à la suite de ses personnages. C’est avec un réel plaisir que j’ai suivi Ernaut dans ses nombreuses déambulations et courses à travers la ville sainte.
Voici un polar médiéval sur fond de religion qui est bien loin du mauvais Da Vinci Code de Dan Brown ! Preuve qu’il est possible d’avoir un arrière-plan religieux sans verser dans le fanatisme ou la théorie du complot catholique ! L’auteur distille discrètement quelques réflexions pertinentes sur la situation politique de la ville sainte, mais sans prendre parti. « Ici, à Jérusalem, on aurait dit que la cité tout entière avait été partagée comme une tourte entre les puissants ordres religieux, sans que personne n’y trouve rien à objecter. » (p. 243) C’est donc toujours un plaisir de lire la plume de Yann Kervran et de plonger dans ses très bons romans historiques.