Roman de Nabile Farès. Lu dans le cadre du Prix Océans.
L’enlèvement de Selma, jeune Algérienne, est un fait divers très connu au pays. Ils sont plusieurs à relater cette histoire tout en la rattachant à des évènements plus larges : les accords d’Evian, le séisme de Boumerdès, la répression d’octobre 1988, etc. Les narrateurs sont Tania, fille de la disparue, Slimane Driif, journaliste exalté, Linda, peintre exilée ou encore le ministre de la Santé. « Ce peuple d’Algérie serait devenu le figurant-témoin d’une histoire qui ne serait plus la sienne. Il vivrait une déformation. » (p. 51) C’est comme si Selma disparaissait à chaque bouleversement du pays, comme si chaque drame de l’Algérie contemporaine s’incarnait dans une jeune femme éternellement sacrifiée.
L’Algérie est dessinée sous les traits d’une terre de malheurs et le narrateur ne peut s’empêcher de souffrir des crimes qui martyrisent sa terre. « J’aime ce pays mais je n’aime pas ces histoires de morts et d’incendies ; celle que me racontent Tania, Slimane, d’autres ; je ne les aime pas. » (p. 32) Le roman – ou le conte – est une longue élégie désespérée faite au pays blessé. Mais rapidement, la plainte devient une accusation : les malheurs de l’Algérie et les souffrances de ses habitants sont le fait des Algériens eux-mêmes. « Mais, ne le sais-tu pas ? L’homme est devenu un Ogre pour les siens ! » (p. 79) D’aucuns disaient que l’homme est un loup pour l’homme. L’ogre est plus menaçant, dévorant sa proche chair et sa propre histoire.
Le fantastique affleure sans cesse dans ce conte. Slimane partage un long dialogue avec un spectre dont l’ombre plane sur tout le texte. On voudrait presque croire que les tragédies de l’Algérie ne sont qu’une mauvaise fiction, mais trop de choses ancrent le récit dans le réel. La ponctuation est volontiers hasardeuse, comme une respiration syncopée ou un souffle coupé devant les drames. Et c’est là qu’émerge la poésie, subtile et violente, jamais idyllique.
Je n’ai qu’un seul reproche à émettre contre ce roman et il est de taille. Je ne sais pas si ce problème ne vaut que pour mon exemplaire, mais l’assemblage du livre est de très mauvaise qualité. Les pages ne sont pas dans l’ordre et j’ai cherché mon chemin dans ce labyrinthe un peu fou : 33, 38, 39, 36, 37, 34, 35, 40. Et sur certaines pages, le texte penche à droite. Dommage que la mise en page desserve ce conte moderne des 1001 nuits.