Tout commence par le procès d’une femme. Elle est belle, mais ses traits sont fatigués. On accuse sans détour et sans ménagement Gladys Eysenach d’avoir assassiné Bernard Martin, son amant âgé de 20 ans. « Parlez-nous du crime, à présent… Allons ? C’est moins difficile à dire qu’à faire, pourtant. » (p. 13) Le procès est un long dialogue sans temps mort. Le président enchaîne les questions et les appels à la barre. Les témoins chargent ou déchargent l’accusée et la foule se délecte du procès de cette femme trop belle, trop riche, trop libre. Dans son box, Gladys parle peu, elle souhaite plus que tout que le procès s’achève et peu importe si on la condamne. « J’ai tout avoué, tout ce qu’on a voulu !… » (p. 17) Que cache cette femme ? Pourquoi veut-elle tellement échapper aux questions ? « Je mérite la mort et le malheur, mais pourquoi cet étalage de honte ? » (p. 45) Quand le verdict tombe, l’histoire ne fait que commencer.
On revient sur les premières années de Gladys, sa jeunesse dorée et son inépuisable succès auprès des hommes. Gladys se sait fabuleusement belle. « Gladys avait de sa beauté une conscience profonde qui ne la quittait pas. » (p. 69) Et, par-dessous tout, elle aime exercer son pouvoir. « Il lui fallait constamment se prouver à elle-même son empire sur les hommes. » (p. 66) Oui, Gladys est obsédée par sa beauté, mais surtout par la fuite du temps qui risque de marquer ses traits. Elle est tellement angoissée par le temps qui passe qu’elle est prête à tout pour garder sa fille au rang d’enfant. « Pourquoi vous et vos pareilles craignez-vous tant que l’on sache votre âge ? … Si vous aviez commis un crime, vous en auriez moins honte. » (p. 215) Cette phrase est d’une clairvoyance incroyable, elle résume presque le roman à elle seule.
Gladys est une femme égoïste et égocentrique, à tel point que sa vanité est sordide. Par certains côtés, elle est un Dorian Gray au féminin et sa laideur intérieure est à la mesure de sa grande beauté. Pourquoi a-t-elle tué Bernard Martin ? Que craignait-elle de ce jeune homme ? La force de ce roman, c’est qu’Irène Némirovsky construit et déconstruit son personnage. Au terme du procès, elle nous laisse devant une femme qui inspire une profonde compassion. Et celle-ci devient progressivement dégoût.
Jézabel est une figure biblique qui a détourné son époux de Dieu pour le soumettre au culte de Baal. Ici, maladivement séductrice, Gladys veut attirer toutes les adorations et détourner le cours du temps de son destin. Pour cela, elle prête aux plus odieux sacrifices. Je ne peux que vous conseiller ce court roman qui présente un portrait de femme tout à fait fascinant.
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