Roman d’Émile Zola.
Ce volume des Rougon-Macquart met en scène Jean Macquart, frère de Gervaise, mais il est surtout question de la famille Fouan. Sur une quinzaine d’années, on suit la vie de Rognes, petit village de la Beauce, région agricole rythmée par les travaux de la terre. « Cette Beauce plate, fertile, d’une culture aisée, mais demandant un effort continu, a fait le Beauceron froid et réfléchi, n’ayant d’autre passion que la terre. » (p. 39)
Au début du roman, le père et la mère Fouan, brisés par des années de labeur dans les champs, décident de donner leurs terres en partage à leurs trois enfants, Fanny, Buteau et Jésus-Christ, en échange d’une rente à vie. Mais les parents enragent autant de donner leur bien que les enfants étouffent de devoir partager l’héritage et d’attendre la mort des vieux pour toucher les magots cachés. « Ah ! Si l’on pouvait emporter son avoir ! […] Mais, puisqu’on ne l’emporte pas, faut bien que les autres s’en régalent. » (p. 439) Au fil des années, on assiste aux manœuvres sournoises des trois enfants pour augmenter leur part. Et il y a aussi Lise et Françoise, deux sœurs qui passent de l’adoration mutuelle à la haine absolue, à cause de la terre et à cause d’un homme. Fi des liens de sang ou de famille quand il s’agit d’augmenter son bien et de posséder la terre, toujours plus de terre. Et il n’y a que le notaire Baillehache qui tire profit de ces luttes intestines : placide, il assiste aux querelles familiales pour gagner un sou, ne pas payer une chemise et ne pas céder un arpent de terre.
Émile Zola décrit l’attachement viscéral des paysans à leurs terres, passion qui se double d’une avarice et d’une cupidité sans bornes. Sans ses champs, le paysan se sent dépossédé, diminué et humilié. Après s’être dépouillé de ses biens au profit de ses enfants, Fouan est un homme méprisé et que le village ne considère plus. « Il retombait dans le mépris, maintenant qu’il n’avait plus rien. » (p. 402) En Beauce, l’avoir fait l’homme, même s’il le tue dans le même temps. « La terre, […], mais elle se fout de toi, la terre ! Tu es son esclave, elle te prend ton plaisir, tes forces, ta vie, imbécile ! et elle ne te fait seulement pas riche ! » (p. 223) L’auteur évoque les premières mécanisations et la crise agricole, ravivant l’ancestrale lutte entre le paysan et l’ouvrier : « Si le paysan vend bien son blé, l’ouvrier meurt de faim ; si l’ouvrier mange, c’est le paysan qui crève… Alors, quoi ! je ne sais pas, dévorons-nous les uns les autres ! » (p. 143)
Dans La terre, Jean Macquart est donc un personnage largement secondaire. Contrairement à certains de ses parents, il ne présente aucun vice et se montre bon travailleur et honnête homme. On verra que ça ne lui réussira pas et que certaines canailles de la Beauce s’en sortiront mieux que lui. On sait de Jean qu’il est revenu de la campagne d’Italie et qu’il a abandonné une charge de menuisier à la ville pour vivre à la campagne. Cette nouvelle vie lui convient et la passion de la terre s’empare de lui. Mais n’étant pas du pays et venu les mains vides, il ne peut prétendre à la terre que par le mariage et malgré la considération que lui accorde le village, il reste un étranger. Et dans les terres paysannes, on aime autant que le bien ne sorte pas de la famille.
Émile Zola s’y entend pour évoquer la sensualité : elle était décadente dans La curée, au milieu de la grande serre d’Aristide Saccard. Elle était franche et délurée dans Nana. Elle était vaudevillesque dans Pot-bouille. Elle était coquette et raffinée Au bonheur des dames. Ici, elle est tellurique et profonde : de semailles en moissons, sans oublier les labours, la terre est un ventre sans cesse travaillé et fécondé, portant chaque année des épis lourds de sa future semence. La terre est un de mes volumes préférés de la saga des Rougon-Macquart : j’ai aimé la violence qui exhale de la terre et la rudesse bornée des paysans. Du grand Zola !