Textes rassemblés par P. L. Jacob (1806-1884). Présentation et notes de Stéphane Vautier. Photographies de Jean-Louis Marteil (Oui, le bonhomme est le Hitchcock de l’édition, toujours prêt à faire une apparition dans ses œuvres)
Sous-titre : Diables, sorciers, fées, elfes, lutins, possédés, vampires, spectres, loups-garous, etc.
La première partie de cet ouvrage porte sur le diable. « L’on mesure alors combien l’utilisation de cette figure du mal absolu se fait souvent dans un but politique et moral. […] Les anecdotes ont parfois être issues de récits populaires, leur signification est la plupart du temps porteuse d’une dimension moralisatrice pour discréditer un adversaire, comme ce fut le cas pour Luther de la part de certains catholiques. » (p.22) Il est fascinant de constater comment l’existence du diable est devenue aussi communément admise que celle de Dieu et comment le pandémonium s’est heurté à une cohorte de saints. Avec la création de cette figure du mal absolu, l’Église a rendu le combat plus juste puisque le bien suprême affrontait donc une unique figure maléfique et non des légions de petits démons mineurs. Mais le combat est également devenu plus glorieux puisque le dieu de toute puissance a trouvé un adversaire à sa mesure. En identifiant diverses figures maléfiques sous un seul vocable, l’ennemi est plus facile à identifier, à combattre et – jeux de mots – à diaboliser. Les textes compilés par P. L. Jacob présente le diable comme un abject séducteur coupable d’enlèvements, de promesses fallacieuses ou de possessions, intervenant auprès des esprits faibles ou des saints potentiels pour les pervertir.
En opposition radicale au diable, on trouve les anges et les fées. « Leur rôle a toujours été ambigu, entre séduction, enlèvement et protection des lieux et des passants, et cela jusqu’à nos jours où les récits de dames blanches s’adaptent à la modernité, tandis que les fées séductrices trouvent une nouvelle incarnation dans la publicité. » (p. 21) D’origine celtique ou nordique, les elfes s’apparentent aux fées et sont les bons génies des airs et de la terre. Viennent ensuite les esprits, j’ai nommé les gnomes, les silphes, les nymphes, les follets, les lutins et les salamandres. Ils habitent et animent chaque chose du monde et sont les forces telluriques et cosmiques de la nature. Enfin, n’oublions pas toute la sinistre clique des spectres, des âmes en peine et des vampires, tous ces défunts qui passent dans le monde des vivants et brouillent les frontières entre vie et mort.
Revenons aux méchants. « À la fin du Moyen Âge, le diable est devenu le contre dieu, celui qui règne sans partage sur les enfers et qui peut infester tout un chacun. Les possédés sont la preuve de sa puissance maléfique. » (p. 151) Ainsi, les ensorcellements, les sortilèges, les possessions, les hystéries et autres épilepsies étaient la marque du diable. Stéphane Vautier avance une hypothèse fascinante sur les loups-garous : « La croyance dans l’existence d’hommes se changeant en bête et, danger majeur oblige, en loup, est une croyance vivace qui pourrait trouver son origine dans la tradition franque de chasser de la communauté un homme qui, condamné, ne pouvait pas payer son crime. Repoussé dans la nature, il devient pareil à une bête sauvage, à un homme-loup […] » (p. 171) L’ouvrage ne le mentionne pas, mais il en va peut-être de même pour Big Foot et tous ses copains poilus des montagnes.
Le florilège démoniaque constitué par P. L. Jacob convoque des personnages de contes de fées dignes d’une veillée macabre, mais révèle également un bon sens populaire pétri de légendes, de traditions et d’observations. Aussi fantaisistes que paraissent les histoires rassemblées, elles sont loin d’être complètement ineptes puisqu’elles participaient d’une tentative d’explication du monde à une époque où la science n’avait pas encore conquis tous les domaines. Les prodiges et les présages désignaient tout ce que l’esprit humain ne savait pas encore expliquer et tout ce qui échappait à la science. En appeler à dieu ou à diable, loin d’être une faiblesse d’esprit, était le recours pour tenter une première rationalisation du monde et de définition des destinées. Ainsi, quand P. L. Jacob, érudit positiviste, présente ces textes, la science commence à expliquer les phénomènes naturels et les manifestations prodigieuses se réduisent comme peau de chagrin, l’esprit n’ayant plus besoin d’inventer pour expliquer et savoir. Il serait donc très réducteur de considérer avec mépris toutes ces curiosités infernales. En effet, l’homme ne supportant pas l’incompréhension (comme la nature et son horreur du vide, paraît-il), il préférait se donner une réponse effrayante que rester sans réponse.
La compilation effectuée par P. L. Vautier est très érudite et témoigne d’une grande ouverture d’esprit, sans mépris pour les textes issus de ce que le 19e siècle a commencé à appeler le folklore. On trouve des légendes, des récits populaires, des textes religieux, des traités scientifiques ou philosophiques, des témoignages et des minutes de procès ou encore des lais médiévaux. Les textes issus de différentes époques et de différentes zones géographiques européennes entrent en résonance et permettent d’élaborer des portraits très complets, presque en trois dimensions, des diverses figures citées. Le 19e siècle était friand de compilations et de collections, en témoignent les cabinets de curiosités si répandus à cette époque. Le 19e siècle est aussi la grande période du positivisme et de l’expérience : chaque sujet devient digne d’étude et d’analyse. Avec la résurgence des croyances populaires et le début du recul de la religion catholique, P. L. Jacob a exploré un terrain foisonnant.
Stéphane Vautier a un véritable talent pour mettre en valeur et expliciter des textes historiques. Avec Chouan et espion du roi, il explorait les mémoires de Michelot Moulin. Ici, il commente une somme de textes très divers. Ses notes de bas de page sont très complètes et la légère modernisation de la langue des textes anciens permet une lecture aisée de cet ouvrage. Je n’ai finalement qu’un seul reproche à formuler à l’encontre de cet essai, à savoir l’absence de conclusion. C’est un peu rude de laisser le lecteur de cette façon. ! Une page aurait suffi. Et là, c’est clairement l’élève traumatisée par la khâgne qui s’exprime : rendre un devoir sans conclusion, c’est la bulle assurée, ou pas loin. Outre ce détail de forme, je vous recommande chaudement (comme l’enfer) cet ouvrage très accessible et passionnant !