Virgil Alexander Stilton s’est rendu à la police en s’accusant de la mort de soixante personnes. Les autorités ont rapidement conclu que Stilton n’était pour rien dans toutes ces disparitions et elles l’ont confié à la clinique de Springdale. « Si j’ai tué ces soixante personnes, il faut bien que j’aie un problème dans la tête. Si je ne les ai pas tuées, il faut aussi que j’aie un problème dans la tête, puisque je pense les avoir tuées… C’est logique, non ? » (p. 21) Un dingue qui raisonne juste, c’est déjà quelque chose. Mais ce n’est pas la seule particularité de Stilton : cet homme aux goûts vestimentaires bariolés a la fâcheuse tendance de tout oublier. « Les choses rentrent et sortent de ma tête avec une facilité inimaginable. Je ne retiens rien. » (p. 43) Et c’est bien pour cela que Virgil Stilton se sent désespérément vide.
La clinique compte d’autres malades. Il y a Tibbets, unijambiste obsédé par l’idée de faire repousser sa jambe. Il y a Tim, quasi muet et très attaché à son petit lapin noir, Rommel. Il y a Kemp, persuadé d’être un astronaute. Il y a Rosen, fasciné par le feu. Et il y a les médecins. Le Dr Coleman a bien du mal à inventer des histoires pour son fils. En désespoir de cause, il lui offre une pierre parfaitement ronde. Ce qu’il n’avait pas imaginé, c’est que son fils appellerait le caillou Elmer et prétendrait pouvoir entendre ses histoires. De son côté, le Dr Miller commence à faire des rêves très étranges, peuplés de petits lapins noirs et d’animaux qui parlent. Et le Dr Fenech est bien en peine d’expliquer comment elle peut et venir dans un monde qui n’a rien à voir avec la clinique.
Lentement, les membres de la clinique de Springdale commencent à changer et à agir bizarrement. Et tout a commencé avec l’arrivée de Virgil Alexander Stilton. Stilton, oui, comme le fromage.
Que voilà une étrange lecture ! Ce qui semblait tout d’abord être un roman loufoque peuplé de doux dingues devient peu à peu un texte très sombre et inquiétant. Ne parlons pas de folie ou d’hallucinations, ce serait trop réducteur. Nicolas Kieffer crée une infinité de mondes qui se rejoignent et implosent à la toute fin de son texte. Ni fantastique, ni médical, son roman est une épatante bizarrerie où les lapins qui se multiplient ne sont que la première annonce d’un changement majeur.
Pour finir, je ne résiste pas au doux plaisir de partager une adorable description de lapin. « C’était un lapin noir, de la taille d’un poing fermé, qui tenait ses pattes jointes sous son museau rose et frissonnant. Ses oreilles dessinaient un arc double au-dessus de son échine et retombaient jusqu’à sa queue en forme de dé à coudre. » (p. 173)