Harry Haller est un être sauvage et solitaire qui rêve de se retirer du monde, mais ne peut résister au besoin de tenter une intégration dans la société. « Comment ne serais-je pas un loup des steppes, un ermite hérissé au milieu du monde dont je ne partage aucune des ambitions, dont je n’apprécie aucun des plaisirs ! » (p. 30) La tentation du suicide est grande chez ce misanthrope dégoûté du monde, mais la réalisation de ce désir lui est impossible. Il trouve un jour un livret qui parle de lui, le traité du Loup des steppes. Dans ce document, Harry découvre l’intégralité de sa nature complexe. « De toute façon, une moitié de son être reconnaissant et confirmait toujours ce que niait et combattait l’autre. » (p. X11 du Traité du Loup des steppes) Harry est-il un homme ou un animal ? Les deux parties de son être sont-elles conciliables ou farouchement antagonistes ? Quel chemin doit-il prendre pour accomplir sa nature ? « Même le suicide, pauvre loup des steppes, ne te servirait à rien, tu devras malgré tout suivre le chemin plus long, plus pénible et plus difficile du devenir humain ; tu devras souvent encore multiplier ta dualité, compliquer ta complexité. » (p. XXV du Traité du Loup des steppes)
Un soir, Harry rencontre Hermine, une belle jeune femme qui jouit de tout ce qu’il abhorre. Mais étrangement, cela l’attire irrémédiablement, comme s’il avait trouvé son négatif. « Et pourtant tu es tellement différente de moi ! Tu es mon contraire : tu as tout ce qui me manque. » (p. 85) Avec Hermine et Maria, une demi-mondaine qui devient son amante, Harry découvre les joies du manger, du boire et du vivre. Il ouvre enfin la porte d’un monde de plaisirs où la vie se croque avidement en toute conscience de l’inéluctable issue fatale. Mais il n’est pas certain que cela suffira à sauver Harry de ses désirs macabres. « Je me consume du besoin d’une souffrance qui me rendre prêt et désireux de mourir. » (p. 126)
Le loup des steppes est un roman sur l’initiation de l’homme à tous les aspects de son existence, des plus favorables aux sombres. Dans la philosophie de Hesse, il est vain de prétendre avoir vécu si on n’a expérimenté que le bonheur ou que le malheur. C’est la complémentarité de tous les opposés et de toutes leurs nuances qui constitue une existence et valide la véritable nature de l’homme qui ne saurait se réduire à un seul visage. Quant à l’épiphanie finale, qu’elle soit la mort ou la pleine acceptation de soi-même, elle n’est possible qu’au terme d’un lâcher-prise que le lecteur lui-même doit accepter d’accomplir.
J’ai enfin lu ce monument de la littérature allemande du XXe siècle et je ne boude pas mon plaisir devant tant de réflexion et de sens. Que j’aime quand la perception passe par le prisme de la littérature !