Xu Hi-Han raconte l’histoire de Matabei Reien, son ancien maître qui l’a initié à la peinture d’éventail. « On garde si peu d’une mémoire d’homme. À peine un signe en terre. Quelques images et de rares paroles au meilleur des cas. Moins que son poids de cendre après la crémation. » (p. 18) Dans la pension de dame Hison, le jeune Matabei a fui le traumatisme d’un séisme et cherche la paix dans une contrée reculée. Alors que le traumatisme de la guerre et l’horreur de la bombe sont encore dans toutes les mémoires, les hommes doivent réapprendre à vivre et à contempler la beauté des choses. Matabei découvre la peinture d’éventail auprès du vieux Osaki Tanako. « Peindre un éventail, n’était-ce pas ramener sagement l’art à du vent ? » (p. 44) Matabei apprend également à tenir un jardin pour en faire un art vivant, incarnation de la beauté naturelle. « Le spectacle changeant du jardin accompagnait le regard en se jouant des mouvements naturels de l’œil par à-coups et balayages, ce qui l’égarait dans sa quête d’unité par une manière d’attachement continu ourdi de surprises et de distractions. » (p. 78) Hélas, la sérénité du vieux Matabei est troublée par l’arrivée de la jeune et belle Enjo. Alors que survient un second cataclysme, Matabei appréhende la fragilité de la vie. « Quelle force obstinée vous restitue au monde, après l’apocalypse. » (p. 142)
Constitué de chapitres courts et ciselés, ce superbe roman d’Hubert Haddad tente de percer le mystère de la beauté, notamment celle du paysage qui est mise en abîme dans les éventails. Séisme après séisme, la nature se révèle aussi belle que capricieuse, toujours prête à se réinventer au détriment des vies humaines. Les haïkus et les jardins sont deux arts nippons qui se répondent et se complètent : dans ce roman, ils chantent la grâce et la légèreté de la beauté, ainsi que son évanescence et sa terrible impermanence.
Lecture dans le cadre du Prix Océans 2014.