« Une petite fille me poursuit, me harcèle, m’assiège ; après quelques décennies de lutte, je ne peux toujours rien contre ses assauts ; parfois croyant agir à sa guise, je découvre avec stupeur que je ne fais que succomber à ses humeurs : grandir est impossible ! » (p. 14) Salie traîne les douleurs d’une enfance illégitime et une peur panique de quitter son appartement pour celui des autres. « Pourquoi personne ne se sent jamais concerné quand je dis que je n’aime pas aller chez les autres ? » (p. 15) Sans cesse tenaillée par son amie Marie-Odile qui organise dîner après dîner, Salie ne sait plus comment repousser les avances d’un monde qui l’effraie. Sa hantise s’incarne dans la Petite, à la fois némésis et réminiscence d’elle-même quand elle était enfant : cette entité la place face à ses peurs et à ses questionnements. Après des décennies à se cacher, il est temps de grandir, mais comment ? Et pourquoi ? « J’écris pour tous les bâtards du monde, qui se font insulter, torturer et mépriser par des gens moins dignes que leurs parents, car ceux qui égrènent les leçons de morale comme un chapelet sont souvent plus tordus et plus condamnables que ceux qu’ils jugent coupables, uniquement pour avoir osé aimer. » (p. 311)
Que la plume de Fatou Diome est belle ! Mais que la plume de Fatou Diome est complexe ! Je n’ai pas tout compris aux réflexions intimes et philosophiques de la narratrice/auteure. Elle lutte contre son enfance, contre les autres, mais surtout contre elle-même. Et parfois, elle a bien du mal à s’en sortir. « Bande de chafouins ! J’ai peut-être les neurones en compote, d’après vous, mais ce serait là une bonne raison de ne laisser personne me les touiller. » (p. 21) Est-il prudent de se battre contre ses douleurs et ses manques, même s’il s’agit de dessiner la géographie d’une vie nouvelle ? C’est ce qu’explore Fatou Diome dans ce roman exigeant aux accents si personnels.
Lecture dans le cadre du Prix Océans 2014.