Samir Tahar, fils d’immigrés tunisiens, a quitté la France pour satisfaire ses ambitions aux États-Unis. À New York, il a tout : une brillante carrière d’avocat, une épouse influente et de beaux enfants, une vie riche et parfaite. Mais son succès repose sur une mystification. « Personne ne me connaît. Si un jour, quelqu’un prétend le contraire, ne le crois pas. » (p. 216) Son identité de juif français expatrié, il l’a composée en l’empruntant à Samuel, son ami de la faculté, désormais écrivain raté qui végète dans une banlieue française. « Mais il pouvait bien inventer sa biographie, ce ne serait jamais la sienne. Il s’était composé un personnage comme un auteur crée sont double narratif. » (p. 115) Aux côtés de Samuel, il y a Nina qui avait choisi le faible au lieu du conquérant. Vingt ans plus tard, vingt ans trop tard, Nina peut-elle choisir Samir ? Qu’adviendra-t-il de ce triangle amoureux quand les masques tomberont ? Il est inévitable que ces trois existences incertaines explosent sous les coups de boutoir d’une vérité qui veut se faire entendre.
Comment vivre avec une identité malmenée et déconstruite, en tentant vainement d’échapper à un passé douloureux et honteux ? Est-il vraiment possible de s’inventer un avenir en reconstruisant son passé ? Karine Tuil malmène ses personnages en menant une réflexion identitaire qui refuse les mensonges et les faux-semblants. Sa plume est souvent effrénée : en témoignent les listes de mots concaténés qui émaillent ses pages. Cette exhaustivité systématique est un refus de choisir dans une volonté de tout dire qui échoue devant l’absence d’un mot unique qui incarnerait tous les synonymes et leurs antonymes. Ces listes sont à l’image des personnages qui ne peuvent pas être tout et son contraire. J’ai beaucoup apprécié les notes de bas de page qui présentent des personnages que l’on ne croise que sur une ligne : ces biographies sont à l’imparfait, à l’image de leurs vies rêvées et de leurs espoirs déçus. L’invention de nos vies est un roman bien mené et bien écrit : si j’ai moins apprécié les cent dernières pages, j’ai passé un excellent moment de lecture aux côtés de Samir, Samuel et Nina.
Lecture dans le cadre du Prix Océans 2014.