Jude Fawley, abandonné par son père, est élevé par une vieille tante acariâtre qui a peu d’espoir pour lui. Décidé à être aussi savant que son ancien professeur, M. Phillotson, il apprend seul le latin et le grec. Il ambitionne d’entrer dans un collège de Christminster, d’obtenir son doctorat, puis d’entrer dans les ordres et, pourquoi pas, d’accéder à l’épiscopat. Mais ses ambitions ne sont pas à la mesure de ses moyens et, dans les austères écoles de la ville, personne ne veut d’un pauvre autodidacte. Pour gagner sa vie, il devient tailleur de pierre, sans abandonner ses rêves de savoir. Ses grands projets sont définitivement contrariés par les femmes. Son premier mariage avec Arabella est un fiasco et son amour pour sa belle cousine Sue est une souffrance permanente puisque celle-ci refuse de se donner à un homme ou de subir les liens du mariage.
Jude est un homme ambitieux, mais dont la faiblesse de caractère et de volonté l’entraîne souvent à contre-courant de ses désirs. « Vous êtes Joseph, le rêveur des rêveurs, cher Jude, et un Don Quichotte tragique. Et parfois vous êtes saint Étienne qui, pendant qu’on le lapidait, voyait les cieux s’ouvrir. Oh ! mon pauvre ami et camarade, vous souffrirez encore ! » (p. 249) Sans cesse contrarié dans ses projets, Jude est une figure du renoncement et de l’effacement. Il est obscur, car il n’accède pas à la gloire et ne baigne pas dans les lumières de la connaissance. Matériellement contraint à une existence de labeur et de honte, il ne s’illustre en rien et sa brève rébellion face aux convenances est rapidement étouffée.
Ce roman est une critique acerbe du mariage, institution quasi carcérale qui bride et malmène les véritables inclinations du cœur. « Leurs vies étaient gâchées […] par l’erreur fondamentale de leur union, par le fait d’avoir établi un contrat permanent sur un sentiment temporaire. » (p. 88) Une fois pris au piège d’une union consacrée, les personnages sont tenus par la morale de ne pas éprouver ou manifester de sentiments pour d’autres êtres que leur conjoint. Et c’est là le drame de Jude et Sue qui, respectivement mal mariés, ne peuvent pas jouir de la tendre affection qui les lie. Sue peut sembler être une terrible capricieuse face à un Jude soumis et conciliant. « Vous ne me cédez en rien et je dois vous céder en tout. » (p. 295) Mais son horreur de la chair et du devoir marital n’est pas une affectation, c’est l’expression désespérée d’un profond besoin de liberté, liberté qui n’est hélas pas admise ou tolérée par l’Église ou la société. La seule figure libre et heureuse est Arabella, épouse et mère indigne qui, si elle ne soucie guère des convenances, ne les affrontent pas et se contente de louvoyer habilement dans le vice et la facilité.
Le triste destin de Jude m’a rappelé celui de Tess d’Urberville, autre personnage de Thomas Hardy qui apprit à ses dépens le prix de la liberté. Mais Jude l’obscur est bien plus pessimiste : Tess trouve la rédemption et la paix alors que Jude finit misérable et haï, et que seule Arabella tire son épingle du jeu. C’est donc un roman terriblement sombre dans lequel il fait bon perdre pied et toucher du doigt la lugubre condition des hommes qui se heurtent à la morale.