Roman de Jean-Marie Blas de Roblès.
Ici, il est question :
- d’une bataille entre Alexandre le Grand et Darius,
- d’un dandy opiomane,
- d’une gouvernante bien sous tous rapports, mais qu’il ne faut pas chercher,
- d’un certain John Shylock Holmes,
- d’un majordome noir au front balafré,
- de trois pieds coupés chaussés de baskets,
- d’un nombre restreint d’unijambistes,
- du diamant volé de Lady MacRae,
- de B@bil Books, l’entreprise de Monsieur Wang,
- d’une jeune fille endormie depuis plus de dix ans,
- de fiacres et de tablettes tactiles,
- d’un mari qui bande mou, au grand désespoir de son épouse un brin nymphomane,
- de la lecture à voix haute dans les fabriques de cigares,
- d’un homme enfermé dans un sous-sol, avec son épouse endormie, des livres et des journaux,
- d’une femme qui a jadis peut-être été un homme,
- d’un jeune hacker qui milite pour la liberté des livres et des histoires,
- des amours platoniques entre le susdit et sa jolie compagne de travail,
- d’un voyage à bord de l’Orient-Express,
- d’un voyage en dirigeable,
- d’un voyage en bateau,
- d’un voyage en sous-marin, commodément appelé Nautilus,
- d’un criminel surnommé l’Enjambeur Nô,
- d’un pigeon de concours nommé Free Legs Diamond,
- de plusieurs monstres marins, dont un certain Cthulhu,
- d’une île qui dérive
- et de bien d’autres curiosités, personnages et péripéties. On ne va pas tout vous raconter !
Si cela n’était pas encore tout à fait évident, ce roman est impossible à résumer tant les évènements s’enchaînent sans cesse autour de personnages et au sein de récits divers. Le lecteur est invité à suivre trois histoires qui se répondent à différents niveaux et l’on se demande bien quel récit nourrit l’autre. « Tout livre est l’anagramme d’un autre. Peut-être même de plusieurs. Il n’appartient qu’au lexique d’être celui de tous les autres. » (p. 453) Allons plus loin et rappelons l’osmose essentielle entre réalité et fiction : « Il n’y a pas de réalité qui ne s’enracine dans une fiction préalable. » (p. 409) L’île du point Némo, ce n’est qu’une expression de la réalité passée à la moulinette de l’imagination. Un mot sur ce fameux point Némo qui va susciter tant d’interrogations, de recherches et de frissons (Oui, ça en rappelle un autre…) : « C’est le joli nom donné par les scientifiques au pôle maritime d’inaccessibilité, l’endroit de l’océan de l’océan le plus éloigné de toute terre émergée. » (p. 262) Voilà une définition qui colle assez bien avec la création : quel auteur n’a jamais rêvé de produire un texte à nul autre pareil, un texte qui explorerait un pan narratif encore vierge de toute écriture ?
Le récit principal (appelons-le ainsi par commodité) offre une congruence étonnante et réussie entre une atmosphère victorienne et une technologie estampillée 21e siècle, du steampunk à son meilleur ! Au fil du roman, on visite un cabinet de curiosité qui n’en finit pas de faire s’écarquiller les yeux qui ont été ceux d’une enfant émerveillée (Oui, c’est moi, évidemment.) par les romans de Jules Verne, de Sir Conan Doyle ou de Ian Fleming. Car le ton est donné : ce roman est à la fois d’aventure et d’espionnage, mais également policier et d’amour (un peu). C’est aussi une fable écologique et un conte philosophique. L’île du point Némo, c’est surtout un glorieux palimpseste, celui d’un auteur qui a beaucoup lu et dont l’esprit fourmille de personnages et de situations romanesques. « Que reste-t-il dans nos mémoires, sinon un résumé flou et poussiéreux, de ces livres qui ont bousculé notre existence ? » (p. 46) En secouant le tout, en le saupoudrant d’un brin de folie et en l’arrosant d’une grande rasade de second degré, on obtient un texte qui, s’il est foutraque, polymorphe et labyrinthique, n’est jamais insaisissable ou incompréhensible. Parce que ce qui compte, finalement, c’est le plaisir qu’éprouve tout lecteur quand on lui raconte une bonne histoire. Et celle-ci est bonne, foutrement bonne !