Bathsheba Everdene est une jeune fille d’une grande beauté. « Le sourire qui se dessinait au coin de la lèvre présageait pour l’avenir bien des cœurs brisés ou conquis. » (p. 11) Quand elle hérite de la ferme de son oncle, elle décide d’en prendre la tête et de la gérer à sa manière, sans intendant. Indépendante, déterminée et profondément honnête, elle dédaigne les jeux et les minauderies qui devraient la mener au mariage. « Chose étonnante, le flirt était bien loin de sa pensée, quoique sa conduite ressemblât fort à celle d’une coquette. » (p. 111) Pourtant, trois soupirants se disputent son attention : Gabriel Oak, berger travailleur et modeste ; M. Boldwood, exploitant riche et solitaire ; le sergent Francis Troy, connu pour ses amours avec une servante déjà enceinte de ses œuvres. Qui choisira Bathsheba après avoir déchaîné les passions ? « Vous pouvez traiter de fou celui qui ne demande qu’une seule parole sortie de votre bouche, un simple bonjour […] ; mais vous n’avez jamais été un homme perdu dans la contemplation d’une femme et d’une femme telle que vous ! » (p. 196)
Déjà enthousiasmée par Jude l’obscur et Tess d’Urberville, je suis subjuguée par ce roman de Thomas Hardy. Bathsheba est un personnage féminin particulièrement moderne pour son époque, ne considérant pas le mariage comme le seul avenir d’une femme convenable. Volontaire et intelligente, elle sait qu’elle doit faire ses preuves avec plus d’efforts pour être acceptée, en ayant parfaitement conscience des difficultés qu’elle rencontre. « Il est difficile à une femme d’exprimer ses sentiments dans un langage presque entièrement formé par les hommes pour exprimer les leurs. » (p. 407) J’ai une affection particulière pour Gabriel Oak. Le premier soupirant de Bathsheba, est un amoureux éconduit, mais humble et profondément fidèle. « Je veux, jusqu’à mon dernier effort, assister celle que j’ai si tendrement aimée. » (p. 274) Sa constance n’a d’égale que sa bonté et sa générosité. « Le bonheur de voir celle qu’il aimait effaçait presque la distance qui le séparait de celui de la posséder. » (p. 78)
Thomas Hardy parle d’amour en le dépouillant de ses guenilles romantiques pour le présenter comme la reconnaissance mutuelle de deux cœurs et de personnalités prêtes à s’engager sur le long terme, loin des feux tumultueux et éphémères de la passion. L’orgueil semble le principal ennemi d’un mariage réussi, la précipitation étant la seconde. L’auteur suggère qu’une affection durable ne peut naître que si on lui laisse le temps de dépasser les sentiments premiers et de se colleter avec les réalités brutales du quotidien.
Il faut également que je parle des descriptions de la sublime nature qui sert de cadre à cette histoire. Dans le Wessex, province imaginaire, les moissons sont aussi généreuses que les orages sont dévastateurs, les moutons ont une laine douce et neigeuse et les bosquets abritent une vie secrète foisonnante. Il se dégage un puissant sentiment de vitalité et de profusion, à tel point que l’on se croit plongé dans une nature primitive, à la fois abondante et cruelle, comme une sorte de nouvel Eden dont les manifestations puissantes rappellent les mouvements des cœurs des personnages.
J’ai bien hâte de voir le film de Thomas Vinterberg en juin, avec la talentueuse Carey Mulligan dans le rôle féminin principal !