La dernière nuit du Raïs

Roman de Yasmina Khadra.

Terré dans un bâtiment désaffecté, à Syrte, Mouammar Kadhafi refuse de croire que les rebelles peuvent renverser son pouvoir et lui retirer le contrôle de la Libye. « Si je suis encore en vie, c’est la preuve que rien n’est perdu. Je suis Mouammar Kadhafi. Cela devrait suffire à garder la foi. Je suis celui par qui le salut arrive. » (p. 12) Kadhafi est certain d’être un bon guide, d’avoir tout fait pour le bonheur de son peuple, alors pourquoi cette révolte ? De l’incompréhension à la colère en passant par la désillusion, la dernière nuit du tyran libyen est l’occasion d’exhumer des souvenirs et de compter les pertes. Non, la Libye ne peut pas tomber comme est tombée la Tunisie. Le printemps arabe, non, ce n’est pas possible. « Les révoltes arabes m’ont toujours barbé, un peu comme les montagnes qui accouchent d’une souris. » (p. 43)

Il est loin le petit bédouin qui n’avait que sa hargne et son ambition pour faire oublier l’absence de son père. Fasciné par Van Gogh et la beauté des femmes, Kadhafi semble parfois être un esthète incompris, un génie que l’histoire méprise. « L’orgueil est allergique à la raison. Quand on a dominé les peuples, on s’oublie sur son nuage. »  (p. 192) Mais à mesure que ses proches perdent courage et la confiance aveugle qu’ils lui vouaient, le raïs, le « chef » perd peu à peu de sa superbe. Le culte de la personnalité dressé à son image s’écroule. « Je suis seul face au destin, et le destin regarde ailleurs. » (p. 171)

Son ultime tentative de fuite se termine par le lynchage que l’on sait. Le temps d’une nuit, le lecteur a été plongé dans la folie sublime et baroque de la mégalomanie. « On raconte que je suis mégalomane. C’est faux. Je suis un être d’exception, la providence incarnée que les dieux envient, et qui a su faire de sa cause une religion. » (p. 88 & 89) En donnant la parole à celui que le peuple a foulé aux pieds et dont la mort a donné lieu à des réjouissances, Yasmina Khadra ne rend pas d’hommage. Il ne célèbre pas et il ne porte pas aux nues. Il imagine simplement les derniers instants d’un être dont l’existence est devenue une légende. Il en va des tyrans comme des statues : en les déboulonnant, on les remet en perspective et on les ramène à hauteur d’homme.

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.