L’auteur l’annonce dès le début : il va raconter l’histoire de ses parents et de son enfance. Ce sera plus ou moins vrai. Vous êtes prévenus. Sa mère était une belle excentrique et son père se pliait avec bonheur aux jeux de son épouse. « Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver. » (p. 9) Ah, on ne s’ennuyait pas chez eux ! Cocktail, dîners tardifs, invités à toute heure, musique de Nina Simone, voyages impromptus en Espagne. Lui-même, enfant, prend plaisir à alimenter la fantaisie de sa jolie maman. C’est tout de même plus drôle que la vie des autres gens. Mais voilà, sa mère n’est pas qu’excentrique, elle est malade. Et son père le savait pertinemment. « J’étais conscient que sa folie pouvait un jour dérailler, ce n’est pas certain mais, avec un enfant, mon devoir était de m’y préparer. » (p. 38) La vie devient soudain un peu moins drôle quand la mère est internée. Grâce aux carnets secrets de son père, l’auteur reconstitue la véritable histoire de ses parents, eux qui s’aimaient tellement qu’ils ne pouvaient pas vivre l’un sans l’autre.
Voilà une très belle histoire, rafraîchissante et étourdissante dans la première partie, plus grave et plus émouvante ensuite. Les jeux de mots et les pirouettes verbales foisonnent dans le texte qui a parfois des airs de marelle : on saute à cloche-pied d’une expression à une autre. Tant pis si l’on tombe, l’important est de jouer. Oui, c’est une très belle histoire d’amour et, en tant que telle, elle est très égoïste et très injuste pour ceux qui n’y participent pas ou partiellement. Je retiens une phrase du père sur les récits qu’il invente pour plaire aux inconnus et pour séduire sa future femme. « Je n’oblige personne à croire à mes histoires, elles vous ont plus, vous y avez cru ! J’ai joué avec vous, vous avez perdu. » (p. 24) Ces quelques mots résument l’essence même d’un bon roman : si l’on croit, on gagne une bonne histoire et au diable la vraisemblance !