À Mashhad, en Iran, des prostituées sont assassinées et leur cadavre est abandonné dans la rue. « Qui mènerait ici une enquête digne de ce nom pour une pauvre femme dont la vie ne valait pas la moitié de celle d’un homme ? Déjà que la vie d’un homme ne valait pas grand-chose… » (p. 3) Pour certains, c’est la justice divine qui s’applique enfin pour éliminer la perversion. Ainsi, les victimes sont coupables alors que le tueur est un justicier d’Allah. Les mollahs et les ayatollahs, touillant à leur sauce le Coran et son interprétation, se gardent bien de condamner l’homme et pointent toujours du doigt la femme. De toute façon, en Iran, les femmes ont toujours tort : si elles sont trop belles, elles sont des putes ; si elles ne sont plus vierges, même mariées ou veuves, elles sont des putes ; si elles sont seules dans la rue, elles sont des putes. « Naître fille dans ce pays est un crime en soi. Vous êtes coupable parce que pas mâle. Et vous êtes putes parce que fille. Alors autant l’être pour de bon. » (p. 109) Quand elles ne sont pas tout simplement vendues, les filles sont mariées très jeunes, très souvent à des hommes bien plus âgés qu’elles et parfois déjà mariés. Dans ce pays rongé par la pauvreté, la drogue et le chômage, elles sont contraintes de faire le trottoir pour payer la dose des hommes de leur famille ou la leur, pour payer le loyer, pour élever leurs enfants, etc. Mais le sexe, le plaisir et le corps sont tabous et indignes aux yeux des mollahs. Et la femme est toujours la première accusée et la première condamnée. « La sécurité des femmes n’a jamais été aussi en péril que depuis que les dogmes islamiques font office de loi dans ce pays. » (p. 54)
Parmi elles, il y a Soudabeh et Zahra, amies depuis l’enfance et dont la si grande beauté ne fera pas leur bonheur. Contraintes à la prostitution, leur destin est sombre et forcément marqué du sceau de l’infamie. Mais ce texte n’est pas que fiction. L’auteure, Iranienne d’origine, évoque des faits divers commis dans son pays : près d’une vingtaine de prostituées ont effectivement été assassinées en Iran. « Je vais exhumer ces femmes et les faire exister dans votre imaginaire pour le malheur des ayatollahs, et écrire noir sur blanc qu’elles n’étaient pas des souillures, que leurs vies n’étaient pas condamnables, et que leur sang n’était pas sans valeur. » (p. 45) En imaginant les vies, les passés et les pensées de ces prostituées massacrées, Chahdortt Djavann ne fait pas l’apologie du sexe, mais celle de la liberté. Et si rien de ce qu’elle écrit n’est inédit ou surprenant, le texte, d’une grande beauté et d’une grande violence, a le mérite de ne pas entériner la loi du silence.