Roman de Lucy Sykes et Jo Piazza. À paraître le 1er juin aux éditions Stock.
En 1999, Imogen Tate était à la pointe du journalisme mode. En 2015, une révolution numérique et un long congé maladie plus tard, elle est complètement dépassée. Pas par la mode, mais par les nouveaux moyens d’en parler. Alors que Glossy, le magazine dont elle est rédactrice en chef, va devenir une application exclusivement numérique – exit le papier glacé, bonjour le clic déshumanisé –, Imogen doit composer avec Eve Morton, son ancienne assistante, devenue numéro deux du magazine, et dont les dents rayent le parquet. « Eve, vingt-six ans, un regard de pure ambition sous un trait d’eye-liner prune. » (p. 17) L’ambition, ce n’est pas une mauvaise chose, mais à la sauce d’Eve, c’est une machine de destruction massive et un mépris total des bonnes manières. « Personne ne se parle au téléphone. Fais-moi un mail. Ou un texte. Je gère cinquante trucs à la foi, alors s’il te plaît, ne m’appelle pas. » (p. 37) Chef tyrannique et sans-gêne, elle fait peu à peu perdre à Glossy son élégance et la confiance des créateurs de modes. « Je suis la nouvelle garde de la presse numérique, et toi l’arrière-garde de la presse magazine. » (p. 84) Désormais en retrait dans son propre magazine, Imogen doit rattraper son retard : Facebook, Twitter, Instagram et tous les autres réseaux sociaux sont la nouvelle façon de communiquer, et elle doit s’y mettre si elle veut, à 42 ans, garder sa place dans le monde impitoyable de la consommation ininterrompue. « L’hypothèse qu’un magazine puisse dégager des bénéfices en proposant ses articles gratuitement demeurait un mystère. […] Le monde de la presse avait tellement changé. Elle le savait. Sites, blogs, tweets, liens, envois multiples… Le public était devenu complètement accro. » (p. 29) Pauvre Imogen, pas facile de faire la mode en 140 caractères !
J’ai beaucoup de difficulté à accorder le moindre crédit au postulat de départ de ce roman : après six mois d’arrêt maladie, Imogen se retrouve dépassée par les nouvelles technologies. Or, l’intrigue se situe en 2015, à New York. Facebook et Twitter ont déjà quelques années, et à moins d’être une vieille dame recluse dans une cabane, il est hautement improbable qu’Imogen soit à ce point incapable d’utiliser ces réseaux sociaux. « Imogen savait pertinemment qu’elle montre une mauvaise foi, caractérisée, chaque fois qu’il était question d’Internet, elle enfouissait sa tête dans le sable. » (p. 44) En outre, elle a suspendu son activité professionnelle pendant six mois, pas pendant six ans. Qu’elle ne sache pas ce qui a remplacé la disquette en 2015 relève de l’aberration ! OK si elle ne maîtrise pas le Cloud, mais le CD-Rom a vingt ans et la clé USB est entrée dans les usages depuis plusieurs années. Je suppose que le message à retenir est qu’Imogen négocie plutôt bien son rattrapage numérique et qu’une carrière n’est pas finie à 40 ans. Et encore heureux !
Passons sur cette image de la quarantenaire à la bourre sur les questions numériques. Passons aussi sur le name-dropping de luxe qui inonde les pages jusqu’à l’overdose. Le roman offre quelques réflexions évidentes, parfois maladroitement assenées et martelées, mais qui ont le mérite d’être claires. Oui, on consomme trop, on est fiché, on est foutu. Non, le numérique n’est pas que négatif, il faut apprendre à s’en servir, traquer les abus et promouvoir les bonnes pratiques qui passent surtout par une relation équilibrée entre réel et dématérialisé. Le harcèlement virtuel est traité d’assez loin, mais avec suffisamment de doigté pour interpeller sans susciter un engouement morbide. Bref, on le sait, on vit tous avec un écran dans le creux de la main : attention à ne pas se couper du monde, ni à vouloir réinventer l’eau chaude. Il y a des vieilles marmites qui font encore de très bonnes soupes !
Qui veut la peau d’Imogen Tate est un roman sans prise de tête, agréable à lire et avec un dénouement positif attendu. Cette histoire est tout à fait adaptable au grand écran, pour une comédie chic et générationnelle un peu acide. Le milieu de la mode rappelle inévitablement Le diable s’habille en Prada, à l’inverse qu’ici, c’est l’assistante qui tyrannise la boss. « Eve avait décidé de la saboter. » (p. 121) Cette lecture était plaisante, mais je n’en suis très clairement pas la cible puisque j’ai passé plus de temps à pointer ce qui ne fonctionnait pas qu’à profiter du divertissement.