Sous-titre : Miettes et fragments posthumes pour une biographie de Janus Sculmeister dit Goodfellow dit Goodbrother et pour éclairer la véritable histoire de Jean E. Sisatac.
Parfois, la quatrième de couverture fait admirablement son boulot : elle en dit suffisamment pour mettre l’eau à la bouche sans tout dévoiler. Donc, pour vous, cette fameuse quatrième.
Les contours à peine dessinés de Goodbrother dans le roman Sistac prennent forme dans ce récit d’aventures alternant méditations métaphysiques, mises en scène burlesques et méticuleux travail du biographe. C’est qu’il existe des indices qui pourraient donner à penser que Goodbrother n’est pas qu’un personnage de fiction… Qui est véritablement Janus Schulmeister (ou Ripberger), alias Goodfellow, alias Goodbrother ? Un tueur mécanique autrichien aussi froid que le canon de son Mauser ? Un centaure satanique sorti des déserts américano-mexicains pour semer mort et désolation dans son sillage ? Ou l’une de ces légendes de l’Ouest, l’un de ces mythes colportés d’un bivouac à l’autre par les garçons vachers et les derniers Indiens à se souvenir d’une époque encore sauvage ?
Il est apparu en tout cas dans Sistac, sous les contours à peine dessinés d’un chasseur de prime implacable et toujours dans l’ombre. Mais il existe des traces, des résidus, des fragments matériels qui laissent penser que Goodbrother n’est pas qu’un personnage de fiction. Roman éclaté, en miettes et comme dispersé par les coups de vent capricieux du souvenir, L’Autre est l’exploration en forme d’inventaire d’une âme noire absolument pas tourmentée dans un monde qui l’est beaucoup plus. Alternant les méditations métaphysiques et le récit d’aventures, le méticuleux travail du biographe et la mise en scène burlesque, Charlie Galibert s’y promène d’une plume enlevée et hilarante, dressant le portrait à la fois minuscule et cosmique d’un monstre littéraire que chacun, comme en mauvaise part, porte en soi : l’Autre.
Dans Sistac, Goodbrother était une figure inquiétante et insaisissable. Après la traduction du roman en anglais, un chercheur américain a cru reconnaître en ce personnage un Autrichien qui aurait réellement existé. Après une discussion avec Charlie Galibert, cela ne devait finir que par un nouveau roman. Ou peut-être est-ce une biographie. Mais quid de Sistac, s’interroge l’éditeur ? « Le problème n’en demeure pas moins entier de savoir si, Good ayant réellement existé, Sistac n’est lui-même qu’un simple personnage de roman ou bien s’il est la transformation fictionnelle de la biographie d’un jeune Toulousain qui aurait réellement vécu et qui, dans les années 1860, aurait survécu quelques années dans l’Ouest américain. » (p. 12)
Personne ou personnage, Goodfellow/Schulmeister/Goodbrother est de fait de l’étoffe des légendes. Avec sa multitude de noms et son identité jamais fixée, il semble défier les lois de la société et du récit, apparaissant là où on ne l’attend pas. Il a combattu à Gettysburg et il en a gardé une fidélité éternelle envers les armes, surtout son Mauser dont il a fait le prolongement de lui-même, voire sa famille. « Il s’était fait adopter par Mother Mauser. » (p. 29) Un autre prolongement fantastique de cet homme est Satan, son cheval. Parcourt ainsi les plaines de l’Ouest un centaure armé redoutable dans la traque et le tir. « Avec le Mauser, Good traquerait la nuit en chacun de ses repaires pour la peupler de spectres en haillons de sang, tous parfumés de l’arôme perdu de son enfance. Il enfanterait avec cette Mère les multitudes qui mettraient le monde à bas. » (p. 19) Good ne craint pas la mort, plutôt d’être à court de munitions ou désarmé face à un adversaire.
Pendant un certain temps, il court après Sistac. Ou peut-être est-ce Sistac qui lui court après. Ce mystère restera entier, impossible à résoudre, tout comme il est impossible de voir en même temps les deux faces d’une même pièce. « Quand Good a envie de mourir, ou simplement qu’on lui fiche la paix, c’est Sistac qui revient. C’est bien cela le problème de l’ego, c’est qu’il y a toujours un alter. C’est bien cela le problème de l’alter, c’est qu’il a toujours un ego. » (p. 176)
Charlie Galibert fait encore montre de son talent pour les jeux de mots et de sonorité, dans un exercice de proximité imparfaite où les frontières se brouillent et les identités se mêlent. « L’homme de l’Ouest est souvent à cheval, mais pas sur les principes. » (p. 92) La ponctuation disparaît parfois et la narration devient un flot débridé, une récitation qui vire à la transe, comme investie d’un pouvoir mystique. L’Autre lève le voile sur quelques mystères de Sistac, juste ce qu’il faut pour que les deux hommes restent des mirages imprécis et fascinants chevauchant dans l’Ouest américain.