En novembre 1918, l’état de Washington est balayé par une terrible tempête. La famille Lawson y perd un père et un fils. Matt, privé de son jumeau, s’occupe désormais seul du ranch familial, après être devenu un homme en une nuit. « J’allais nulle part sans lui. / C’est le fait d’être des jumeaux qui rend les choses difficiles ? […] / J’ai jamais été autre chose, dit Matt. Je suis toujours jumeau. Mon frère est parti, c’est tout. » (p. 32 & 33) Matt se rapproche de Wendy qui l’aide à chercher le corps de son père. Mais la romance tourne court entre eux quand Wendy lui tire dessus accidentellement. Matt disparaît alors pendant près de vingt ans, louant sa colossale force de travail dans d’autres ranchs. « Malgré sa taille et sa force, il était lâche. Il avait abandonné une mère, et surtout, dans son esprit, une femme qu’il aimait, mais qu’il était incapable d’affronter. Cette balle avait été pour lui une manière de se dérober, y compris pour lui-même. » (p. 201)Quand il revient auprès de Wendy, il a un bébé et un ennemi en la personne de Lucky, le fils de Linda Jefferson, son ancienne institutrice.
Le roman se découpe en trois grandes périodes qui vont de 1918 aux années 1960. Entre violence et cruauté, la vie de Matt est souvent traversée d’éclairs de folie et nourrie d’une profonde solitude. « Les gens avaient beau être proches par le sang, un cœur n’irradie pas, par ses simples battements, le réconfort ou la joie. Ce sont là des choses qu’il nous faut aller traquer chez les autres, et les autres restaient peu nombreux, éparpillés dans de grands espaces. » (p. 11) Matt sait qu’une famille se créé autant par le sang que par la volonté de rester proche de ceux qui l’entourent, ce qui est loin d’être simple. Par sa rudesse et ses airs de fresque américaine, ce roman placé sous l’égide d’Emily Dickinson m’a souvent rappelé À l’est d’Eden de John Steinbeck. L’âpreté du monde et la brutalité des hommes y sont aussi puissantes. L’heure de plomb est un magnifique roman américain.