Roman de Midge Raymond. À paraître le 2 novembre.
L’Australis, bateau de croisière non calibré pour l’Antarctique, s’est échoué au fond des eaux glacées du continent blanc, après un long naufrage qui est une catastrophe humaine et écologique. « C’est désespérant, nous n’avons pas assez de sauveteurs, pas assez de ressources et nous arrivons trop tard. » (p. 237) Le MS Cormoran est intervenu le plus vite possible, mais les victimes sont nombreuses. À son bord, Deb Gardner, biologiste spécialisée dans l’étude des manchots, a assisté à la catastrophe. Entre passé lointain et passé imminent avant le naufrage, le récit reconstitue sa grande histoire d’amour avec Keller Sullivan, homme perdu qui a trouvé un sens à sa vie en Antarctique. Chaque année, pendant quelques semaines, Deb et Keller avaient l’habitude de se retrouver autour de leur passion commune pour ce continent glacé et pour les manchots. « Nous nous aimons autant que nous aimons l’Antarctique, pourtant nous devons nous séparer l’un de l’autre et de ce continent. » (p. 22) Avant d’arriver sur les terres arides du bout du monde, Deb et Keller payent le voyage à bord du Cormoran en guidant des touristes sur la banquise, bien conscients que ces vacanciers ne respectent pas les lieux et contribuent à leur destruction. « Nous continuons à mesurer les effets du tourisme sur les oiseaux. Il y a deux cents ans, les manchots avaient le continent pour eux seuls ; aujourd’hui, ils sont au contact de bactéries contre lesquelles ils n’ont aucune défense. » (p. 104)
Deb vivait seule sa passion pour le continent blanc. « J’attends avec impatience ces moments à terre où, entourée des cris des manchots et des pétrels, je me sens plus loin que jamais du monde au-dessus du 60° parallèle sud. » (p. 15) Entre solitude et liberté, elle assumait plus ou moins bien son célibat et d’avoir choisi la science au détriment de la famille. Elle forme avec Keller un couple dysfonctionnel, mais fusionnel. « L’Antarctique vous endurcit et je me demande si ce n’est pas ça qu’il est venu chercher, faire disparaître ses vieilles blessures sous les cals. » (p. 73) Leur inadaptation au monde présente des degrés différents, mais c’est dans cette faille qu’ils se retrouvent et construisent leur amour dont l’issue tragique se fait sentir dès les premières pages. Pourquoi Keller n’est-il pas à bord du Cormoran cette année-là ?
Au-delà de l’histoire d’amour, Mon dernier continent est un excellent récit de survie dans l’enfer blanc de la banquise. Il m’a rappelé Soudains, seuls d’Isabelle Autissier, mais surtout Le Sphinx des glaces de Jules Verne, ce roman d’aventures qui a enchanté mon adolescence. « Comme tout voyageur de l’Antarctique le dira, quand on commence à craindre la glace, les relations avec elle changent à jamais. » (p. 216) Avec son texte, Midge Raymond nous confronte à notre responsabilité dans la mort des océans et illustre très bien la fascination mêlée de répulsion qui lie l’homme et l’Antarctique. Roman d’amour, récit d’aventure et manifeste écologique, Mon dernier continent est un très bon récit qui tient à la fois du chant du (manchot) cygne et du cri d’espoir. Tout n’est pas perdu, l’Antarctique n’est pas condamné si on se mobilise sans attendre. « Je ne veux pas rester spectatrice de ce qui se joue ici. Je ne veux pas regarder la fonte de la banquise en me disant qu’il n’y a rien à faire. Même si je ne sais pas bien ce que je pourrais faire. » (p. 177)