Marcus, anciennement William, vit retiré dans le silence des Chartreux depuis 25 ans. Ce silence est l’horizon qu’il tente d’atteindre pour rejoindre Dieu. Afin d’entrer en possession d’un héritage inattendu, il doit se rendre à Paris et laisser la quiétude de sa retraite monacale. « Quitter les mots pour aller vers la Parole. Toutes ces années à respirer leur absence. Le vide dans ma gorge. » (p. 30) Comment revenir au monde après tant d’années loin de lui, à prier pour lui, mais sans le sentir ? Le choc est puissant : sorti de son monastère, Marcus se sait vulnérable. « Après toutes ces années, je pensais que ma peau était devenue pierre, elle est fragile comme autrefois. J’avance nu, écorché par le vacarme de ce monde que je ne connais plus. » (p. 24) Dans le train vers Paris, il rencontre Méry, jeune femme condamnée par la maladie qui abandonne la lutte pour profiter du temps qui lui reste. Entre Marcus et Méry, ce qui s’amorce est tendre et profond, mais sans avenir. « Tu es du vacarme dans mon silence, un délicieux vacarme, mais je fais le vide depuis si longtemps que je dois continuer. » (p. 76)
Que cet album est beau ! Au sens premier, déjà : j’aime énormément le dessin fin et détaillé de Zep et l’usage qu’il fait des camaïeux, si maîtrisés que le blanc y explose. Les pleines pages invitent à la contemplation : l’espace d’un instant, on se voudrait chartreux pour expérimenter la beauté infinie du monde. « Je n’avais pas vu de femme depuis des années. C’est joli. » (p. 25) Au sens second, cet album est beau par la douceur et la sensibilité de son propos qui est teinté d’un humour un peu triste qui arrache larmes de rire et larmes d’émotion. Je suis croyante et j’admire le choix de William/Marcus de se retirer du monde pour trouver Dieu dans le silence et la méditation. Je comprends sa démarche et ses réflexions. « Si je ne doutais pas, je n’aurais pas besoin de croire. Je ne serais pas un croyant, mais plutôt un assuré. » (p. 33) Un bruit étrange et beau parle de générosité, celle que l’on peut accepter et celle qui dépasse le don. Il parle aussi d’une rencontre humaine et spirituelle. En vertu de ma foi, je crois qu’on rencontre Dieu en chacun, mais je sais aussi qu’il faut accepter l’autre sans lui imposer la puissance d’une croyance qu’il ne partage pas forcément. C’est peut-être là la vraie générosité : offrir en acceptant que l’on peut être refusé. La fin de l’album est sublime, très émouvante. Après avoir lu toutes les aventures de Titeuf quand j’étais ado, je me suis déjà régalée avec Une histoire d’hommes et Découpé en tranches. Ce nouvel album confirme qu’il ne faut pas perdre Zep de vue !