Caitlin a douze ans. Elle vit seule avec sa mère, Sheri, qui s’épuise dans un travail qu’elle déteste pour offrir une vie décente à sa fille. Tous les jours, après l’école, Caitlin attend sa mère dans le grand aquarium de Seattle. Elle peut passer des heures à observer les poissons. Un jour, elle rencontre un vieil homme qui désire la connaître. « Je t’offre davantage. Offrir la fin d’une vie, c’est bien plus, et mes raisons sont bien plus pures. Je t’aime plus qu’aucun homme ne t’aimera jamais. » (p. 54) Cet homme, c’est son grand-père, lui qui a abandonné Sheri quand elle était enfant, la laissant seule avec une mère agonisante. Et cela, Sheri n’est pas prête à le pardonner. Elle n’est pas non plus prête à laisser Caitlin nouer une relation avec son grand-père. Au cours d’une semaine éprouvante, Caitlin découvre le calvaire enduré par sa mère, mais également la cruauté dont Sheri est capable. « Tout est possible avec les parents. Les parents sont des dieux. Ils nous font et nous détruisent. Ils déforment le monde, le recréent à leur manière et c’est ce monde-là qu’on connaît ensuite pour toujours. C’est le seul monde. On est incapable de voir à quoi d’autre il pourrait ressembler. » (p. 117) Pour Caitlin, entre deux visites à l’aquarium où les poissons nagent, indifférents, c’est la fin de l’enfance qui se profile.
David Vann et les relations familiales tordues, c’est une longue d’histoire de désamour. Toujours aussi percutant après plusieurs romans, il sait montrer le pire dans ce qui unit les êtres. Entre ce qu’il faut pardonner et ce qui ne s’oublie jamais, il y a fort à faire pour rassembler une famille dysfonctionnelle. « Comment recolle-t-on les morceaux d’une famille ? Comment pardonne-t-on ? » (p. 191) La réponse à ces questions se devine à force de patience et de résilience. Le pardon n’étant jamais l’oubli, il est lucide et bienveillant. Il peut aussi être désabusé, vidé de l’espoir dont on investissait celui qui nous a blessés. Et la plus grande blessure de Caitlin, ce n’est pas la férocité de sa mère à l’éloigner de son grand-père qui l’a causée, mais sa réaction devant ce qu’elle devenait, petite fille ouvrant la porte de l’adolescence. « La fin, aussi, de l’amour simple et entier envers ma mère. Les limites de mon propre pardon. » (p. 193) Beaucoup moins macabre que les précédents romans de David Vann, Aquarium n’en reste pas moins incroyablement puissant. Dès les premières pages, le malaise s’installe et l’on s’attend à chaque instant à voir exploser la situation.
Je vous conseille évidemment tous les autres romans de cet auteur : Sukkwan Island, Désolations, Impurs, Dernier jour sur terre et Goat Mountain.