La narratrice était une jeune femme quand Emerence est entrée à son service. La femme de ménage, elle, était déjà une vieille bien connue dans le quartier, la tête toujours couverte d’un foulard. Emerence est une travailleuse infatigable qui s’occupe de plusieurs maisons, d’un immeuble et de tous ceux qui ont besoin de son aide. Son inépuisable générosité n’a d’égale que sa solitude, sa rudesse et sa volonté farouche de ne laisser personne entrer chez elle. La porte de son logis est toujours close et personne ne sait ce qu’elle dissimule. La relation d’Emerence avec la narratrice est complexe. « Moi, je n’étais ni madame ni rien, et cela dura tant qu’elle ne put m’assigner de place dans sa vie, tant qu’elle ne découvrit pas ce que j’étais pour elle et comment elle devait m’appeler. » (p. 18) D’abord prudente et méfiante, la domestique nourrit finalement une profonde affection pour la jeune femme. Pourtant, tout oppose la jeune auteure, intellectuelle qui aime les mots et les idées, et la vieille domestique dont la vie intérieure vaut tous les romans. « Emerence était capable de m’inspirer les plus nobles sentiments comme les pires grossièretés, l’idée que je l’aimais me mettait parfois dans un état de fureur qui me prenait au dépourvu. » (p. 187)
Avec ce récit aux allures de confession, la narratrice se blâme d’avoir causé la mort d’Emerence après avoir forcé sa porte. Le passé de la vieille femme est plein de morts et son logis est un mystère fascinant : que dissimule Emerence dans son appartement ? Une fortune ? Des biens volés pendant la guerre ? Ou un trésor plus grand encore ? Ce personnage est de ceux qui marquent pour longtemps : cette vieille domestique aux mains déformée, aux cheveux toujours couverts, n’est jamais en repos, toujours affairée et pleine de mépris pour les intellectuels qui ne font rien de leurs mains. « Je ne lave pas le linge sale de n’importe qui, dit Emerence. » (p. 14) Pour autant, elle s’attache à la narratrice avec la même affection irraisonnée que lui témoigne Viola, le chien recueilli dans la neige.
La porte est un grand roman hongrois qui m’a donné envie de découvrir Budapest, mais aussi de lire d’autres textes de Madga Szabo. J’ai vu qu’un film a été tiré de ce roman : je suis curieuse de voir comment le mystère a été rendu en images.